Bertrand Somda : Le parcours inspirant d’un élève exclu devenu étudiant, fonctionnaire et maçon

Bertrand Somda : c’est son nom. Il est de ceux-là que le système classique a d’abord exclu. Et les difficultés financières auraient pu mettre fin à son rêve de s’instruire. Mais la vie lui a donné une seconde chance à travers une bonne volonté. Il l’a saisie, avec les deux mains, en y mettant du cœur, de la volonté pour libérer le « petit génie » qui sommeillait au fond de lui.  Exclu de l’école publique, c’est dans un centre de formation professionnelle qu’il prend conscience. Et décide de se prouver qu’un autre monde meilleur est encore possible. Maçon, élève, étudiant, aujourd’hui fonctionnaire en attente de son affectation dans son service, il est sur des chantiers de construction. Des marchés qu’il obtient grâce à son expertise. Nous l’avons retrouvé sur un de ses chantiers à Ouagadougou. Il nous raconte son histoire, dans un portrait qui lui est dédié.

Dimanche 29 janvier. Au quartier Saaba, à Ouagadougou, pousse des terres, une maison de type R+1.  Les « petites mains et les intelligences » sont réunies pour façonner le chantier. Les ouvriers s’affairent entre sable, ciment, briques et autres matériels de travail. Ils travaillent sous la direction d’un homme et c’est avec lui que nous avons rendez-vous. Son nom : Bertrand Somda. Sur le chantier, il est maçon. Il exerce ce métier depuis quelques années. Mais si vous le rencontrez dans la cour de l’université, son statut change : il est étudiant en 2e année d’études anglophones. Et ce n’est pas tout.

Depuis quelques temps, il a réussi à un concours de la fonction publique : Adjoint en éducation spécialisée. Il est même en fin de formation et attend son affectation. Mais pour y arriver, il a dû transpirer et même beaucoup ! En attente de sa prise de service comme fonctionnaire, l’étudiant et maçon continue son activité. « Je n’ose pas imaginer ce que je serais sans la maçonnerie. Pour tout résumer, c’est mon portefeuille magique puisque toutes les difficultés que j’ai rencontrées, même au moment de ma formation et aujourd’hui encore, c’est la maçonnerie qui me tient encore débout », confesse le jeune maçon.

Les responsabilités n’attendent pas, surtout quand la vie les impose. Orphelin de père depuis la classe de CM1, Bertrand Somda a dû « grandir avant l’âge » et se forger une mentalité. « La vie est une adaptation permanente. Et en fonction de l’évolution des choses, à un moment donné, j’ai compris qu’une seule activité ne correspond pas à ma vision, ça ne peut pas résoudre mon problème », explique-t-il, l’air philosophique.

Renvoyer de l’école pour insuffisance de résultats

Pour atteindre ses objectifs, l’étudiant en 2e année d’études anglophones à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou n’a rien lâché. De son village natal Wizine, dans la région du Sud-Ouest, il débarque à Ouagadougou après sa formation à Gaoua et un passage au Centre de formation et de production de Loumbila.

Son parcours scolaire commence à l’école primaire publique de Wizine d’où il sort avec le Certificat d’Etudes Primaires en 2007. Bertrand Somda se retrouve ensuite au Lycée départemental de Dissihn, dans la province du Ioba, région du Sud-Ouest. Mais au lycée, ses mauvais résultats font naitre des doutes dans le cœur du « petit enfant ». Il redouble la classe de 5e, puis la 4e. Ce qui conduit à son exclusion de l’établissement. Il lui est difficile de s’offrir une place dans un établissement privé. Faute de moyens financiers. Le système scolaire classique lui ferme ainsi ses portes. Son horizon s’assombrit. Mais il ne se décourage pas. Il est décidé à s’instruire.

La « naissance » d’un maçon

Il commence à suivre des cours dans une école d’alphabétisation en langue Dagara. Ses efforts et sa volonté vont payer. Grâce à son dévouement, une bonne volonté (son oncle) lui offre une bonne opportunité : apprendre la maçonnerie dans un cadre bien professionnel. « C’est un papa, à qui je dis encore merci, qui a eu la présence d’esprit de m’envoyer à Loumbila faire la maçonnerie », se souvient-il. Le jeune garçon quitte son Wizine natal, traverse Ouagadougou et débarque à Loumbila, dans le Plateau central. L’objectif est précis : apprendre un métier.

Une de ses œuvres

Un nouvel avenir tend donc les mains au gamin d’une taille d’à peine un mètre et demi. Ce milieu d’apprentissage crée un déclic dans son esprit et bouscule sa vision du monde. « Le déclic a commencé là-bas. Dès que je suis arrivé à Loumbila, j’ai compris que la vie n’est pas simple, avec la rencontre de beaucoup d’autres jeunes, la rencontre de beaucoup d’autres intelligences », soutient-il.

« J’ai compris que la maçonnerie seulement, avec le niveau que j’avais, ne m’arrangeait pas trop. J’ai donc décidé de me relancer sur les bancs avec le fonds d’installation qu’on nous a donné », explique Bertrant Somda.

Celui qui a été exclu pour insuffisance de résultats devient désormais insatiable : sa soif de s’instruire prend de l’ampleur. A Loumbila, il a pris connaissance de certaines lacunes intellectuelles qui pourraient le freiner dans son ascension professionnelle. L’enfant qu’il était a compris, en ce moment précis, l’importance de l’instruction.  A l’issue de la formation en maçonnerie, il retourne alors sur les bancs pour se racheter. « J’ai compris que la maçonnerie seulement, avec le niveau que j’avais, ne m’arrangeait pas trop. J’ai donc décidé de me relancer sur les bancs avec le fonds d’installation qu’on nous a donné », explique Bertrand Somda.

2O14, retour à l’école dans sa région d’origine. A l’issue de sa formation, il ne veut plus dépendre de sa famille. Le jeune maçon s’inscrit en classe de 4e, en cours du soir « pour prendre sa revanche sur cette classe qui avait scellé son exclusion ». Un retour gagnant : il obtient la moyenne. Il quitte les cours du soir et rejoint les élèves des cours du jour en classe de 3e. Et cette fois, plus rien ne l’arrête. La même année, il réussit à l’examen du BEPC. Prochain défi : le baccalauréat. Trois ans plus tard : objectif atteint. Bertrand Somda réussi à l’examen du BAC avec la mention assez bien en 2018 : plus de 13 de moyenne. Mais depuis sa reprise de la route de l’école, il n’a jamais arrêté d’exercer son métier de maçon. Il avait un pied en classe et l’autre sur les chantiers. Il était sur les murs dans la matinée et à l’école dans la soirée en cours de 4e. Vice-versa. A partir de la 3e, il suivait les cours le jour et travaillait les soirs quand il n’y avait pas cours, les jours fériés et les weekends.

Pendant les vacances, Bertrand Somda revenait à Ouaga : il y a beaucoup plus de possibilités d’avoir des chantiers dans la capitale. Les revenus obtenus dans la maçonnerie pendant les vacances servaient à la prise en charge de sa scolarité à la reprise des cours.

L’enfant renvoyé de l’école en classe de 4e entre à l’université

Inscrit en études anglophones, il joue sur deux terrains : celui des études et de la maçonnerie. Il ne se rend à l’université que lorsqu’il a achevé ses chantiers ou en cas d’évaluation. Lorsque Bertrand Somda obtient un marché, il se contente des exercices avec ses camarades pour préparer ses évaluations. La maçonnerie lui a ainsi permis et lui permet encore aujourd’hui de satisfaire ses besoins personnels ainsi que ceux de sa famille. Sa main d’œuvre, selon lui varie entre 250 000 FCFA et 600 000 FCFA. le dernier chantier qu’il exécute est une sous-traitance qui lui a été confiée par un autre qui en est le titulaire.

Sa première année universitaire est un succès. Il passe en deuxième année. Au même moment, il tente sa chance aux concours directs de la fonction publique. En 2021, il est en effet admis au concours des adjoints en Education spécialisée. Il rejoint Gaoua pour la formation. A Gaoua, pendant sa formation, il n’a pas abandonné les chantiers.

 Aujourd’hui, il attend d’être affecté dans un service de l’Etat. Mais il profite de cette attente pour former ses jeunes frères en maçonnerie, sur des chantiers à Saaba. « Je n’ai pas eu la chance d’avoir véritablement un repère depuis mon enfance. Issu d’une famille modeste, j’ai compris que cette base dont je n’ai pas bénéficié, je dois la construire pour moi et pour les générations futures », dit-il.

« La violence du vent peut nous trimballer à un moment vers des environnements méconnus ou inconnus. Mais notre foi, notre détermination et notre persévérance vont nous ramener lorsqu’on a comme ligne de mire nos origines »

Dans son environnement social, il en a inspiré plus d’un. Dans ses traits de caractère, il reconnait être un peu solitaire mais généreux dans le partage. « Aucune difficulté, aucun obstacle, aucune raison, aussi fondée soit-elle, ne devrait nous détourner de notre objectif premier. Les tempêtes ne manquent pas dans la vie, mais la détermination est le maitre-mot », conseille-t-il. Il ajoute dans un langage plein de philosophie et de sagesse que « la violence du vent peut nous trimballer à un moment vers des environnements méconnus ou inconnus. Mais notre foi, notre détermination et notre persévérance vont nous ramener lorsqu’on a comme ligne de mire nos origines et que l’on se bat corps et âme pour satisfaire la famille et vivre dignement. »

Les témoignages sur sa personne corroborent alors ses dires. « Pour l’envoyer à Loumbila, tellement il était petit, la dame chargée du recrutement estimait qu’il ne supporterait pas le travail. Mais il a tout de suite crié qu’il a la capacité et la force nécessaire. Aujourd’hui les fruits sont là et je suis très heureux », témoigne son oncle Jean Philippe Dabiré.

« Il reste lui-même et focus sur ses objectifs en se servant de ses faiblesses du passé pour persévérer au quotidien ».

Son camarade d’enfance et promotionnaire, Baltazare Somda, reconnait sa combattivité, sa discrétion et sa bienveillance. « Il est courageux et très ambitieux, a plein de projets ». Il a laissé entendre que la bataille pour le premier rang était rude entre eux de la classe de seconde à la terminale et même à l’université avant son admission au concours. Son promotionnaire de l’université, Aimé Hien, embouche la même trompette. « J’ai eu à faire du manœuvrage récemment avec lui, toujours combattif, il n’abandonne jamais lorsqu’il s’engage. Il reste lui-même et focus sur ses objectifs en se servant de ses faiblesses du passé pour persévérer au quotidien ».

Le désormais père de famille et fonctionnaire n’entend pas jeter truelles, niveaux et stopper la maçonnerie.

par Judichaël KAMBIRE, Sira info

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