Système d’émission des Passeports : Le Burkina se tourne vers la Chine avec un marché de 19,7 milliards FCFA

La décision est rendue publique le 25 avril 2024. Une nouvelle entreprise produira désormais les passeports biométriques burkinabè. Dans le compte rendu du Conseil des ministres du 25 avril, en effet, au compte du ministère en charge de la Sécurité, le gouvernement a adopté un rapport relatif à la passation d’un marché pour l’émission des passeports burkinabè. Il s’agit d’un Partenariat public-privé (PPP) passé à travers une procédure exceptionnelle, en l’occurrence, une entente directe (gré-à-gré). Ce marché marque aussi la fin d’un autre partenariat avec une entreprise française.

Un nouveau partenaire pour le « financement, la construction et la maintenance d’un système d’émission de passeports biométriques en polycarbonate munis de puce électronique et d’archivage des dossiers ». L’heureuse bénéficiaire est la société SHENZHEN EMPEROR TECHNOLOGY Company (EMPTECH), LDT. C’est une entreprise chinoise, basée dans la ville de Shenzhen. Elle se définit, selon nos informations, comme « un fournisseur mondial de produits et de solutions d’identité ». Ses services sont notamment « des solutions de personnalisation pour les justificatifs d’identité et les cartes financières émis par le gouvernement, des solutions en libre-service pour l’enregistrement et la distribution de documents d’identité, des solutions d’inscription et d’authentification biométriques mobiles et basées sur des comptoirs, des solutions de gestion des frontières, des solutions de vote électronique, etc. » 

IDEMIA, la société française poussée vers la porte?

Pour le financement, la construction et la maintenance d’un système d’émission de passeports biométriques, le Burkina débouchera au total, selon le montant dévoilé par le gouvernement, trente-deux millions six cent quatre-vingt-cinq mille sept cent cinquante (32 685 750) Dollars américains.  Soit environ dix-neuf milliards sept cent vingt-cinq millions trois cent un mille cinq (19 725 301 005) F CFA « sur une durée de cinq (05) ans ». Presque 20 milliards FCFA.

Ce nouveau marché met aussi fin à un long partenariat. En effet, depuis au moins 2017, les passeports biométriques burkinabè sont l’œuvre de la société OBERTHUR TECHNOLOGIES SA, devenue IDEMIA. Une entreprise française réputée dans ce secteur. En août 2017, IDEMIA (ex- OBERTHUR TECHNOLOGIES SA) a obtenu avec le gouvernement burkinabè, dans le cadre d’un partenariat public privé (PPP), le marché « d’exploitation d’un système de passeports à puce électronique (e-Passeports) et d’archivage électronique des dossiers. » pour une durée de 5 ans. Ce premier contrat devrait donc prendre fin en 2022. Le montant du marché était évalué à sept milliards cent trente-trois millions huit cent soixante-trois mille trois cent trois (7 133 863 303) FCFA.

Et depuis, c’est elle qui était le cerveau du système de production des passeports. Selon des sources proches du service de l’immigration burkinabè, le contrat tend vers la fin. « On ne veut plus le renouveler », apprend-on.

Depuis des années, le Burkina n’a pas pu propulser des experts locaux capables de développer ce type de technologies qui interviennent dans l’établissement des CNIB, des fichiers et cartes électoraux, des passeports, des permis de conduire, etc. Pratiquement tous les marchés de ce type sont attribués à des entreprises étrangères.

IDEMIA a réalisé la modernisation des titres de Transports à une vingtaine de milliards FCFA

En 2016 par exemple, IDEMIA avait aussi eu la confiance du gouvernement pour la modernisation des titres de transports. En effet, les permis de conduire et les cartes grises actuels sont l’œuvre de la technologie de IDEMIA, ex- OBERTHUR TECHNOLOGIES SA. Pour signer l’accord de production de ces documents avec cette société française, le ministre des transports de l’époque, Souleymane Soulama, s’était déplacé en France. Le contrat, d’un montant initial de 15 milliards FCFA, a bénéficié d’avenants par la suite dont l’un avait un montant de 5 milliards FCFA. Il était prévu la production de 3 millions de titres de transport.

Bien avant ces cas, c’est une société canadienne qui se frottait les mains. En mars 2016, le Burkina avait conclu un marché par la procédure d’entente directe avec la Société CANADIAN BANK NOTE COMPANY LIMITED (CBN), pour la fourniture de 60 000 livrets de passeports ordinaires burkinabè « y compris l’assistance technique ». En octobre 2013, le gouvernement burkinabè avait confié « la mise à jour des passeports et du système de délivrance des passeports » à la même société canadienne pour un montant de 1 872 351 100. L’objectif était de consacrer la migration de l’ancien passeport vers le passeport de la CEDEAO.

Le Burkina, un bon client de ces entreprises étrangères

Pour l’enrôlement biométrique des élections couplées de 2012, la société française GEMALTO avait obtenu le marché d’un montant 11 603 455 357 F CFA TTC avec la Commission électorale nationale indépendante.

Le Burkina est donc un bon client de ces entreprises étrangères dans ces secteurs. Mais la brouille diplomatique avec la France semble aussi avoir des répercussions sur le monde des affaires. Pour ce cas des passeports, la Chine se positionne avec ce marché stratégique de presque 20 milliards FCFA. C’est presqu’une première dans la région où les entreprises françaises, belges, canadiennes, très réputées mondialement régnaient.

En rappel, au Mali voisin dans lequel la politique française est décriée, IDEMIA est en conflit ouvert avec le gouvernement. Le 25 septembre 2023, les autorités maliennes ont publié un communiqué dans lequel elles accusent IDEMIA d’avoir pris «en otage » la Base de données du Recensement administratif à Vocation d’état civil (RAVEC) ». La société a, en effet, selon les autorités maliennes, refusé de transférer la propriété du système aux Maliens avant le paiement complet d’un montant 5,2 milliards FCFA. IDEMIA avait basé sa réponse sur le contrat qui le liait au Mali. Finalement, en février 2024 le Mali a affirmé avoir récupéré ses bases de données, grâce à une équipe d’experts informatiques qui auraient réussi à pirater le système de IDEMIA. Ces faits démontrent à quel point les domaines d’établissement des documents d’état civil sur les populations et autres (passeports, fichier électoral, titres de transports, etc.) relèvent de la souveraineté des Etats. 

IDEMIA perd donc le Mali comme partenaire. Et tout porte à croire qu’elle est en train de perdre aussi le Burkina qui se tourne vers la Chine.

Par Marie D. SOMDA, Sira info

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