Dans son verdict rendu le 26 août 2024, la Cour d’Appel de Ouagadougou a condamné M. Vincent Dabilgou, ancien ministre des Transports, de la Mobilité urbaine et de la Sécurité routière, à une peine de 11 ans d’emprisonnement dont 6 ans ferme et une amende ferme de 3 375 858 462 F CFA. Ce dernier et plusieurs autres personnes physiques et morales, dont son Directeur des Affaires financières (DAF), Jean Gabriel Séré, étaient poursuivis pour détournement de deniers publics, complicité de détournement de deniers publics, financement occulte de parti politique, complicité de financement occulte de parti politique, faux et usage de faux en écriture privée de commerce, complicité d’usage de faux, abus de fonction, enrichissement illicite et blanchiment de capitaux.
L’affaire remonte aux élections couplées (présidentielle et législatives) de novembre 2020 où le parti Nouveau Temps pour la Démocratie (NTD) et plusieurs de ses militants se sont retrouvés dans le viseur du Tribunal de Grande instance (TGI) de Ziniaré pour fraude et corruption électorale. À l’époque, les poursuites engagées par le Parquet de cette juridiction avaient abouti à l’inculpation, pour subornation de témoins, de M. Jean Gabriel Séré, membre du NTD et Directeur des Affaires financières (DAF) au ministère des Transports, de la Mobilité urbaine et de la Sécurité routière (MTMUSR).
Ce procès donnera lieu à une dénonciation au parquet du TGI Ouaga I, pour détournement de deniers publics au MTMUSR à des fins de campagne électorale. L’enquête de cette nouvelle affaire est confiée à l’Autorité supérieure de Contrôle d’État et de Lutte contre la Corruption (ASCE-LC). Considéré au départ comme témoin, M. Dabilgou, Président du NTD, devient, par la suite des investigations, un prévenu.
Après l’enrôlement du dossier par le parquet du TGI Ouaga I pour jugement, le REN-LAC marque son entrée dans la procédure en se constituant partie civile. Le procès débute le 16 février 2023. À la barre des juges de la chambre correctionnelle du TGI se trouvent Vincent Dabilgou et 7 autres dont trois agents publics, une personne morale et trois personnes du secteur privé. Ce sont Jean Gabriel Séré (DAF au MTMUSR), Ousmane Sigué (comptable matière au MTMUSR), Malick Koanda (directeur de la SOPAFER-B et directeur de campagne de Vincent Dabilgou), le NTD (parti de M. Vincent Dabilgou), Yassya Sawadogo (Président du Conseil d’Administration de Green Energy), Minata Coulibaly (responsable commerciale de Green Energy) et Alhousseni Waneltigré Ouédraogo (ex DAF de Ildo Oil). Les 8 prévenus sont poursuivis pour détournement de deniers publics, complicité de détournement de deniers publics, financement occulte de parti politique, complicité de financement occulte de parti politique, faux et usage de faux en écriture privée de commerce, complicité d’usage de faux, abus de fonction, enrichissement illicite et blanchiment de capitaux. Alors que, durant le procès, M. Dabilgou nie les faits, les différents témoins passés à la barre, y compris ceux de la défense, cités par lui, prennent son contre-pied. Il ressort des débats que le MTMUSR et certaines de ses structures telles que la SOPAFER-B ont passé des contrats visant à décaisser de l’argent pour des acquisitions fictives notamment de carburant. Sept prévenus sur huit sont finalement condamnés en première instance pour abus de fonction, détournement de biens publics, enrichissement illicite, complicité de détournement de deniers publics et d’enrichissement illicite, financement occulte de parti politique, recel et blanchiment de capitaux. Le principal concerné, Vincent Dabilgou, écope d’une peine d’emprisonnement de 11 ans dont 7 ans ferme et une amende ferme de 3 375 858 462 F CFA. Son DAF, Jean Gabriel Séré prend 6 années de prison dont 3 ans ferme et une amende ferme de 3 375 858 462 F CFA. Ousmane Sigué, Malick Koanda et Alhousseni Waneltigré Ouédraogo écopent de 11 ans d’emprisonnement dont respectivement 4 ans, 5 ans et 2 ans ferme. Le premier reçoit une amende ferme de 395 106 384 F CFA, le deuxième une amende ferme de 2 460 868 092 F CFA et le troisième une amende ferme de 269 746 092 F CFA. Minata Coulibaly est condamnée à une peine d’emprisonnement de 4 ans avec sursis. Toutefois, elle écope d’une amende ferme de 10 000 000 F CFA. Seul Yassya Sawadogo, poursuivi pour usage de faux et complicité de détournement de deniers publics, est relaxé au bénéfice du doute. Le NTD, parti de M. Dabilgou, voit ses activités politiques suspendues, en plus d’écoper d’une amende ferme de 10 000 000 F CFA. Par ailleurs, une interdiction d’exercer les droits d’éligibilité pour une période de 5 ans est prononcée contre Vincent Dabilgou, Jean Gabriel Séré, Ousmane Sigué et Malick Koanda.
Le tribunal ordonne la confiscation de leurs biens meubles et immeubles à concurrence des sommes détournées, soit 1 125 286 154 F CFA au profit du Trésor public. L’ensemble des prévenus est condamné à payer au REN-LAC la somme de 3 000 000 F CFA au titre des dommages et intérêts ainsi que 3 000 000 F CFA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Au surplus, ils doivent payer à l’État burkinabè la somme de 1 125 286 154 F CFA au titre des dommages et intérêts, 5 000 000 F CFA en réparation du préjudice moral et 5 000 000 F CFA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. La chambre correctionnelle ordonne l’exécution provisoire des condamnations civiles et fixe la contrainte judiciaire au maximum.
Légère baisse des peines
Les prévenus interjettent appel et le dossier est de nouveau jugé lors de la session spéciale de la chambre correctionnelle de la Cour d’Appel de Ouagadougou les 22, 23 et 24 juillet 2024. Le 26 août, la Cour d’Appel confirme la culpabilité de Vincent Dabilgou, de Jean Gabriel Séré, de Ousmane Sigué, de Malick Koanda et du NTD, mais revoit légèrement leurs peines à la baisse. Ainsi, Vincent Dabilgou est condamné cette fois à 11 ans d’emprisonnement dont 6 ans ferme au lieu de 7 ans et se voit coller la même amande ferme. Ousmane Sigué et Malick Koanda s’en sortent avec des peines d’emprisonnement de 9 ans dont 4 ans ferme chacun. Le premier reçoit une amende ferme de 395 106 384 F CFA et le second une amende ferme de 308 700 000 F CFA. Pour sa part, Jean Gabriel Séré avait estimé que sa collaboration avec le parquet donnait droit à une excuse absolutoire. L’excuse absolutoire est une mesure qui permet à un délinquant repenti de bénéficier d’une impunité si, avant l’ouverture des poursuites, ce dernier révèle les faits à une autorité administrative, judiciaire ou aux instances concernées, leur permettant d’identifier les personnes mises en cause. Mais le juge d’appel estime le contraire et rejette l’exception. En conséquence, sa peine reste maintenue comme telle. Quant au NTD, ses activités sont de nouveau suspendues pour une période de 5 ans. Le juge ordonne enfin la confiscation des biens des prévenus à concurrence des sommes détournées. En ce qui concerne Alhousseni Waneltigré Ouédraogo et Minata Coulibaly, dont les culpabilités avaient été retenues en première instance, ils sont purement et simplement renvoyés des fins des poursuites pour infractions non constituées. La Cour rejette également la constitution de partie civile de l’État burkinabè. En revanche, elle accepte celle du REN-LAC, la déclare bien fondée et condamne les prévenus à payer au Réseau la somme de 3 000 000 au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Toutes les autres dispositions du jugement attaqué en appel sont confirmées.
Les gouvernants doivent être des exemples de vertu
Cette affaire confirme les résultats du rapport du REN-LAC sur l’observation de la fraude et de la corruption électorales lors des élections couplées du 22 novembre 2020, qui avaient conclu au rôle déterminant de l’argent dans l’issue du scrutin. Par exemple, le NTD, qui avait obtenu trois députés aux élections de novembre 2015, était devenu la troisième force politique à l’Assemblée nationale après les couplées de 2020 avec 13 députés. Ce parti figurait dans le lot des partis et formations politiques épinglés par les observateurs pour pratique de corruption électorale. La distribution d’argent (50%) et les dons en nature (28,6%) constituaient les actes les plus incriminés. Ce procès a donc été une occasion en or pour mettre à nu la manière dont l’argent du contribuable est utilisé par des hommes politiques ou des gouvernants pour s’enrichir illicitement et se faire élire lors d’élections. C’est pourquoi, la lutte contre la corruption demeure un élément essentiel pour la stabilité politique et le développement économique et social de notre pays. Il faut faire en sorte que tous ceux qui ont en charge la destinée de la nation ou qui y aspirent soient des exemples de vertu, afin que la gestion du pouvoir d’État devienne respectueuse des règles de bonne gouvernance. À défaut, ceux qui s’adonnent à la corruption et à la mal gouvernance doivent être punis à la hauteur de leur forfait. Du reste, la tenue même de ce procès montre que la traque des délinquants en col blanc peut connaître de sérieuses avancées pour peu que l’on s’engage davantage à lutter ensemble pour la garantie de la bonne moralité et la bonne gestion de la chose publique. C’est de cette manière que l’on pourra assoir une gouvernance saine, porteuse de changements qualitatifs dans la vie des populations.
Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC)