Ce 27 mai 2025, l’ancien ministre en charge de la Jeunesse et de la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes, Salifo Tiemtoré, a fait face aux juges. Appelé à la barre pour répondre des faits de « fausse déclaration d’intérêt et de patrimoine, financement occulte des partis politiques et Blanchiment de capitaux », il ne reconnait aucune des infractions. Et donne les raisons de sa non culpabilité, appuyé par ses avocats.
27 mai au Tribunal de Grande instance. L’ancien ministre chargé de la jeunesse sous Roch Marc Christian Kaboré, Salifo Tiemtoré, sous une pluie battante dehors, est debout face aux juges. Il ne reconnait pas les faits qui lui sont reprochés. Et s’explique.
Sur l’infraction de la fausse déclaration d’intérêt et de patrimoine, Salifo Tiemtoré, livre sa part de vérité. Un de ses fils s’est installé aux Etats-Unis d’Amérique depuis 2011. Au début, c’est lui, le père qui lui envoyait de quoi vivre. Quelques années plus tard, l’enfant avait ses propres revenus au point de les rapatrier dans son pays le Burkina. Mais le jeune Tiemtoré n’avait pas de compte bancaire en son nom au pays.
C’est ainsi que le père a créé des comptes bancaires pour recevoir les économies de son fils. Les débats se sont focalisés principalement sur un compte créé dans une banque commerciale de la place au nom de l’ancien ministre, avec des transactions de plus cent millions de FCFA.
Il reconnait que le compte est à son nom, mais son contenu appartient à son fils. Et selon lui, la loi sur la déclaration d’intérêt et de patrimoine dit qu’il n’est pas fait obligation de déclarer les biens des enfants majeurs des personnalités soumises à cet exercice. Il affirme, sur une question d’un de ses avocats, qu’avec le recul, il comprend que du point de vue juridique, il puisse avoir une confusion.
Des fonds spéciaux (caisse noire) du président Roch Kaboré se retrouvent sur un compte portant le nom de l’ex-ministre
Cette explication ne convainc pas le parquet, l’Agent judiciaire de l’Etat et même le tribunal qui lui posent des questions de compréhension. En effet, des fonds qui n’appartiennent pas à son fils ont transité sur ce compte bancaire : un chèque de 35 millions FCFA provenant des fonds spéciaux (caisse noire) de la présidence du Faso a été positionné sur le compte. Un autre chèque d’une société immobilière d’un montant de 25 millions a transité sur le compte.
Selon lui, les 35 millions FCFA des fonds spéciaux qui se sont retrouvés sur ce compte à problèmes sont une compassion de dépenses faites au nom de Roch Kaboré. Des activités qu’il aurait préfinancé avec les fonds de son fils sur ledit compte. Les dépenses supportées par les 35 millions FCFA seraient des dons accordés à des communautés coutumières et religieuses, etc.
Et les 25 millions FCFA de la société immobilière serait en réalité un don de l’homme d’affaire Apollinaire Compaoré pour l’organisation d’un événementiel au profit du monde économique qui aurait eu lieu au SIAO.
Comment l’argent de son fils est arrivé sur le compte ?
Selon les explications de l’ex ministre, il recevait l’argent de son fils depuis les Etats-Unis à travers le système traditionnel dénommé HAWALA. De façon concrète, si son fils voulait lui envoyer 10 millions FCFA par exemple, il le remettait à un monsieur spécialisé apparemment dans ce domaine et installé aux USA. Et ce dernier à son tour faisait remettre la somme à l’ex-ministre à travers sa femme qui se trouve au Burkina. Donc pas de transfert conventionnel, pas de traces, etc.
A ce propos, celle qui jouait ce rôle a été appelée à témoigner. Elle a reconnu effectivement avoir remis plusieurs millions par tranche à l’ancien ministre, sur demande de son mari installé aux USA.
Deux témoins font douter de l’origine licite de 120 millions FCFA versés sur le compte du ministre
Deux agents de banque sont citées comme témoin dans cette affaire. La première était cheffe d’agence au moment des faits. Elle explique avoir récupéré dans les mains du ministre dans son bureau, en compagnie d’une collègue, une première tranche de 40 millions FCFA, en paquet BCEAO (10 millions FCA chacun des paquets). Selon son explication, ce sont des paquets neufs qui sont censés n’avoir pas été touchés par une autre main. Puis, une deuxième tranche de 80 millions FCFA, toujours en paquet BCEAO, bien scellés comme la première, en l’espace d’un mois. Ce qui fait un total de 120 millions FCFA. C’est la même explication que l’autre collègue, citée comme témoin a raconté face aux juges, à la barre.
Le Procureur leur demande si elles ont demandé l’origine de cette somme. Les deux ont toutes répondu par la négative. « Vous n’avez pas posé la question parce que vous ne voudriez pas indisposer le ministre sur l’origine de l’argent. », dit-il. Selon lui, le fait que les deux témoins confirment que les sommes récupérées en deux tranches dans le bureau de l’ex ministre sont des paquets BCEAO qui n’ont pas été touchés par une autre main prouvent que l’argent sur le compte n’est pas celui envoyé par son fils des USA.
Sur l’infraction de financement occulte de parti politique
Le parquet est ferme. Les 35 millions FCFA des fonds spéciaux de la présidence qui se sont retrouvés sur son compte, ont servi à financer des dépenses à visée politique. « Vous payer des vivres et autres pour les notabilités coutumières et religieuses parce que vous savez l’influence qu’elles ont sur l’électorat, surtout que nous étions en 2019. Vous avez soudoyé ces personnes, il ne faut pas avoir peur du terme.», martèle le parquet.
L’ancien ministre ne partage pas cet argument du procureur. Pour lui, si cette somme devait servir de financement de parti politique, c’est son parti politique qui l’aurait reçu. Selon lui, il entretient une longue amitié avec l’ancien président. Et avant qu’il accède au fauteuil présidentiel, il faisait déjà ces dépenses chaque année.
36 mois de prison et 540 millions d’amende, le tout ferme requis
Au moment des réquisitions, le parquet n’a pas de doute sur cette affaire : l’ancien ministre doit être déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés. « Ces comptes étaient à son nom et il ne les a pas déclarés. Est-ce que la déclaration concerne le compte ou son contenu ? Le compte en lui-même est un bien. Et doit être déclaré », dit-il.
Sur le financement occulte de parti, il pointe du doigt les 25 millions FCFA de la société immobilière et 35 millions FCFA des fonds spéciaux de la présidence qui se sont retrouvés sur son compte bancaire personnel.
Pour le blanchiment de capitaux, il est également formel sur la caractérisation de cette infraction « Les 40 et 80 millions FCFA viennent d’où ?», questionne-t-il.
Et pour tous ces faits, le procureur demande au tribunal de condamner l’ancien ministre à une peine d’emprisonnement de 36 mois ferme.
Il demande aussi le paiement d’une amende de 540 millions FCFA. Ce montant est la somme des 40, 80, 25 et 35 millions FCFA multipliée par 3.
Le parquet a aussi requis la confiscation des biens saisis et un mandat de dépôt à l’encontre de l’ex-ministre.
L’Agent judiciaire de l’Etat quant à lui demande au tribunal de le condamner à lui verser des dommages et intérêts de 5 millions FCFA et un million de francs CFA pour les frais non compris dans les dépens. Le REN-LAC est constitué partie civile dans ce dossier, également.
Les avocats de la défense tentent de convaincre le tribunal de l’innocence de leur client
Les avocats de l’ex-ministre sont naturellement sur la même ligne de défense que leur client. Il n’est pas coupable. Et ils tentent de convaincre le tribunal.
Principaux arguments ! La fausse déclaration d’intérêt et de patrimoine ne tient pas, selon eux. L’un des conseils souligne que la loi sur la déclaration d’intérêt et de patrimoine prévoit une mise en demeure de deux mois pour l’autorité qui ne respecte pas cette exigence légale. Or, dit-il, son client n’a jamais été mis en demeure. Pour lui, cette infraction n’est pas constituée. De plus, à son audition à l’ASCE-LC, il a cité de « façon spontanée » les comptes bancaires à problèmes, sans savoir qu’ils faisaient l’objet d’investigation.
Même chose pour l’accusation de blanchiment de capitaux. L’argent sur le compte portant son nom, comme l’a dit leur client, appartient à son fils. Le témoignage de celle qui remettait l’argent du fils au père grâce au système Hawala est cité comme une preuve de l’origine licite de l’argent.
Sur le financement occulte de partis politiques, les conseils du prévenu s’opposent également. Pour eux, le parquet n’a pas pu produire une preuve qui montre que leur client a effectivement fait un financement occulte de parti politique.
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Pour les 25 millions FCFA dont le chèque porte le nom d’une société immobilière, les avocats soulignent que le parquet n’a pas fait d’efforts de recherche. Leur client dit que le chèque lui a été remis par un homme d’affaire nommément cité. Le parquet, selon eux, aurait pu vérifier ces déclarations avec l’homme d’affaires et verser dans le dossier, des éléments sur le vrai propriétaire de la société immobilière.
Il souligne aussi que les parcelles sur lesquelles l’ex-ministre était en train de faire des investissements ont été acquises depuis les années 1995. Et selon eux, le parquet n’a pas pu prouver que les investissements ont une origine illicite.
En définitive, ils demandent au tribunal de déclarer leur client non coupable de tous les faits pour lesquels il est poursuivi.
Salifo Tiemtoré sera-t-il condamné ou disculpé dans cette affaire ? Seul le tribunal peut avoir une réponse exacte, d’ici à mi-juin 2025.
Par Marie D. SOMDA, Sira info
NB : il n’y avait pas de micro dans la salle d’audience. L’assistance entendait difficilement certains échanges.