Démocratie et insécurité au Sahel : Abdoul Karim Saïdou analyse la problématique des élections

La question de retour à l’ordre constitutionnelle, à travers des élections, fait débat dans les pays en transition comme le Mali, le Niger et le Burkina. Ces pays ont subi les foudres de la communauté internationale mais surtout de la CEDEAO. Le maitre de conférences, agrégé de science politique à l’Université Thomas-Sankara et acteur de la société civile, Abdoul Karim Saïdou, a produit une analyse critique au titre évocateur « Démocratie et insécurité au Sahel : une cohabitation impossible ? » Sira info vous livre la substance de cet article scientifique.

L’article est long de 15 pages. Il tend à donner une réponse à une problématique essentielle : « Démocratie et insécurité au Sahel : une cohabitation impossible ? ». L’analyse de l’enseignant-chercheur fait émerger une expression : la domestication de l’insécurité. « L’expérience de certains États sahéliens montre que la cohabitation est possible entre démocratie et insécurité. Les régimes démocratiques sont équipés pour domestiquer l’insécurité. », dit-il. Cette domestication s’opère par une adaptation de chaque Etat, même si elle est parfois tumultueuse. Le Nigeria malgré les violentes attaques de Boko Haram a pu organiser des élections en 2015, 2019 et 2023. L’institution électorale a cependant dû faire des réajustements. « Pour les élections de 2023, la commission électorale a créé des centres de vote spéciaux (IDP voting centers) permettant de faire voter les personnes déplacées internes dont le nombre n’a cessé de croître depuis 2017. Dans l’État fédéral du Borno, dans 19 sur les 26 communes, les électeurs ont voté dans des Super camps, des enclaves militaires hautement sécurisées. », donne-t-il en exemple. Le cas des élections 2021 au Niger, 2018 au Mali, etc. sont aussi cités en exemple.

Abdoul Karim Saïdou donne aussi un exemple de domestication de l’insécurité au Burkina. Elle s’est manifestée en 2020 par un changement du cadre juridique des élections. « Au Burkina Faso par exemple, le Code électoral a été révisé en 2020 pour permettre de valider les élections même en cas de faible participation électorale engendrée par l’insécurité. En intégrant les notions de force majeure et de circonstance exceptionnelle, cette réforme normative, qui a suscité du reste des controverses, visait à éviter que l’insécurité ne remette en cause l’élection et conduise à une crise institutionnelle et politique. »

« L’insécurité peut servir de prétexte au verrouillage du système politique »

La « domestication de l’insécurité » s’est aussi traduite par le recours des Etats aux dispositions exceptionnelles comme l’Etat de siège, l’Etat d’urgence, prévues par leurs Constitutions. Mais ces dispositions exceptionnelles qui sont devenues la norme produisent aussi des conséquences. Les pouvoirs « des forces armées sont étendus pendant que sont réduites dans une durée limitée certaines libertés individuelles et collectives ».

Pire, certains pouvoirs usent de stratégies officieuses pour museler les journalistes et les opposants, selon le chercheur : « L’interdiction des manifestations au Niger sous les régimes Issoufou et Bazoum (2011-2023) en est un exemple. En effet, les stratégies de domestication de l’insécurité peuvent alimenter le démantèlement subtil des acquis démocratiques, même sous des régimes constitutionnels. L’insécurité peut servir de prétexte au verrouillage du système politique. Ces usages autoritaires du contexte sécuritaire n’annulent pas la validité de l’argument selon lequel l’ordre démocratique peut être préservé en temps d’insécurité. »

Les élections peuvent parfois, en période de crise, être une bouée de sauvetage. Au Nigeria en pleine crise de Boko Haram, la défaite de Goodluck Jonahtan a été perçue comme une sanction face à l’incapacité de son pouvoir à trouver une solution à la crise. « L’alternance a contribué à affaiblir le groupe Boko Haram, illustrant ainsi l’effet stabilisateur des élections dans les contextes de crise. Hors de la région sahélienne, le cas de la République démocratique du Congo (RDC) corrobore cet argument. Comme l’a montré Ali Diabacté Tadjoudine25, c’est à travers les élections de 2006 que ce pays est sorti de la « seconde guerre du Congo », écrit l’enseignant de science politique.

« Ni dans les Constitutions ni dans le droit communautaire élaboré par l’Union africaine et la CEDEAO, il n’existe des règles précises encadrant l’organisation des élections dans de tels contextes ».

Mais l’élection peut constituer en elle-même un danger pour la démocratie : « L’instabilité démocratique est inévitable lorsque l’élection est érigée en institution sacrée sans alternative, conduisant ainsi à des élections à crédibilité douteuse reproduisant la crise au lieu de la réguler ».

L’intensité de certaines crises peuvent faire perdre à l’Etat sa souveraineté dans certaines parties de son territoire. Le Burkina est dans cette situation. A partir de quel seuil de reconquête du territoire les élections peuvent être organisées ? Abdoul Karim Saïdou répond : « Ni dans les Constitutions ni dans le droit communautaire élaboré par l’Union africaine et la CEDEAO, il n’existe des règles précises encadrant l’organisation des élections dans de tels contextes ». Il y a donc un vide juridique. Pourtant, le discours des acteurs internationaux sur le retour à l’ordre constitutionnel dans ces Etats reste inchangé : « des élections à tout prix ».

« La démocratie en pratique dans l’espace CEDEAO est prisonnière de l’élection »

A l’en croire, face à l’insécurité qui empêche la tenue des élections, l’alternative pourrait être « la démocratie consensuelle pour désigner les gouvernants par des instruments autres que le vote ». La position de la CEDEAO face aux pays en transition est la tenue des élections. Cette intransigeance démontre une chose : « Ces faits montrent que la démocratie en pratique dans l’espace CEDEAO est prisonnière de l’élection car, même en situation exceptionnelle, il n’existe pas d’alternative à l’élection, laquelle n’est pourtant pas le seul mécanisme de sélection des gouvernants ». Les populations du Sahel s’adaptent à l’insécurité. Mais l’insécurité n’a pas pu amener les institutions sous-régionales à une rupture de paradigmes. « L’incapacité à sortir du « fétichisme électoral » produit pourtant des résultats contre-productifs, car dans certains cas les élections en contexte d’insécurité reproduisent la crise au lieu de la réguler », martèle le chercheur.

Par Marie D. SOMDA, Sira info

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