Sahel : Comment le vol de véhicules alimente le terrorisme

Les véhicules sont l’une des armes du terrorisme. L’ensemble des groupes armés ont une dépendance avérée à l’égard des voitures et du carburant. Mais la chaine d’approvisionnement n’est pas toujours licite : ils les volent, en général. Et certains groupes les revendent pour financer des attaques. Selon l’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale, « la criminalité liée aux véhicules constitue un pan important de l’économie illicite et criminelle du Sahel central et représente la source d’instabilité la plus fréquente pour la population locale aux mains des bandits, groupes criminels organisés et groupes armés. » Le rapport d’enquête dressé par cette organisation pointe du doigt deux grands groupes terroristes qui sévissent notamment au Burkina, au Mali au Niger : la Province de l’Etat islamique au Sahel (ISSP) et le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM)

L’étude a d’entrée fait une remarque : « le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) et la Province de l’Etat islamique au Sahel (ISSP) utilisent essentiellement des motos, et très rarement des voitures, pour mener des attaques. Ils se servent périodiquement de pick-ups pour lancer des attaques car il est possible d’y installer des armes plus lourdes à l’arrière. » Mais les deux s’illustrent aussi dans le vol de voitures. L’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale a pu identifier les zones qui sont des plaques tournantes pour l’achat, la vente et le transport transfrontalier de voitures volées. Ces zones sont, selon l’étude, principalement dans « la sphère d’influence de l’ISSP », à savoir Tessit, N’tillit, Anderamboukane, Ménaka, Tin Hama, Fafa (villes maliennes) et dans les zones autour de Tankademi au Niger et dans la zone du Gourma (Burkina). « On a observé dans ces zones une plus grande présence des combattants extrémistes sur le marché des voitures volées ». L’étude évoque des témoignages d’acteurs qui sont en contact avec les groupes armés. « Un individu entretenant des liens étroits avec les groupes armés actifs à la frontière du Mali et du Niger a affirmé que certains combattants de l’ISSP revendent des voitures qu’ils ont volées. Ils pratiqueraient des prix fixes basés sur la qualité et l’état de la voiture. » Selon ce témoignage, les membres de l’ISSP adaptent aussi les prix des voitures volées en fonction de l’acheteur. Certains véhicules volés sont revendus à d’autres membres du même groupe. « Ils vendent parfois les véhicules à d’autres combattants de l’ISSP entre 500 000 et 3 millions de FCFA (entre 1 000 et 5 000 euros environ), généralement dans le but d’acheter eux-mêmes de nouveaux véhicules. » Mais beaucoup de véhicules volés sont revendus aux particuliers, notamment des commerçants de véhicules.

Des voitures volées revendues entre 4 et 5 millions de FCFA

« Ceux qui n’ont aucun lien avec eux doivent payer un prix beaucoup plus élevé, qui peut atteindre 7 millions de F CFA (environ 10 700 €) pour une voiture. » Les acheteurs les plus fréquents seraient des commerçants de la région de Gao et un petit nombre d’acheteurs du Sahara occidental. L’enquête révèle qu’en général, quand il y a plus de 10 voitures à vendre en même temps, les prix varient entre 4 et 5 millions de FCFA chacune (entre 6 000 à 7 500 euros environ). Sur le marché, ces voitures auraient coûté plus cher.  Ainsi, pour dix voitures volées revendues en même temps, le groupe terroriste encaisse plus de 40 millions de FCFA cash. Ces sommes constituent une économie illicite qui permet de financer le terrorisme.

Mais selon le rapport, si les membres de l’ISSP s’adonnent à un business des voitures volées, le JNIM a une autre approche. « Il se livre activement au car-jacking (Ndlr : vol de voitures avec menaces ou violences sur le conducteur), en particulier des voitures d’ONG, d’ambulances et d’autres véhicules 4×4 qui répondent à ses besoins opérationnels ». Ce groupe ne vole donc pas pour revendre, mais pour ses propres besoins immédiats. Et pour cela, il peut voler un véhicule au Burkina et l’envoyer dans un autre pays voisin où leurs combattants en ont besoin.

Une préférence pour les voitures solides et surtout des Pick-up

« Les groupes armés apprécient les quatre roues motrices et les voitures solides. Ces caractéristiques sont en effet plus importantes pour eux que pour le grand public, compte tenu des conditions dans lesquelles ils opèrent. Toutefois, ces groupes s’intéressent également à d’autres caractéristiques, comme la capacité d’adaptation d’une voiture aux terrains des affrontements. », précise le rapport. Selon le témoignage d’un agent de sécurité du secteur minier, indique l’étude, « au début du conflit les groupes extrémistes violents s’en prenaient surtout aux pick-up, et plus particulièrement à ceux de marque Toyota en raison de leur longévité, mais aussi de leur capacité à être facilement réaménagés pour y installer des armes. Les groupes armés se sont ensuite tournés vers toutes les voitures à toit rigide et à quatre roues motrices. Cela s’explique probablement par le fait qu’ils avaient déjà volé la plupart des pick-up stationnés sur leur territoire et que les conducteurs de pick-up avaient appris à ne pas conduire dans les zones à risque »

Nouna : ils retirent la voiture d’une ONG pour des besoins et la remette après le forfait

L’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale est formelle : le vol généralisé de voitures appartenant à des ONG est une caractéristique à part entière du conflit. Et le pays qui semble très touché par ces actes est le Burkina Faso. L’ISSP et le JNIM ont tous deux été impliqués dans ces vols. Mais le JNIM l’est encore plus. Ce groupe utilise les véhicules appartenant à des ONG à des fins particulières. « Le JNIM a besoin de voitures pour transporter des individus et du matériel à des fins offensives et défensives sur le terrain. Un certain nombre d’anecdotes illustrent ce point. Ainsi, en février 2022, le JNIM a restitué à une ONG, basée à Nouna, une voiture dont le groupe s’était emparé. Les combattants du JNIM qui l’avaient prise ont informé le personnel de l’ONG qu’ils avaient besoin du véhicule pour une opération spécifique visant à transporter un commandant d’un certain âge qui avait besoin de l’air conditionné durant le trajet. » Un mois après l’avoir retiré, elle a été restituée à l’ONG, selon le rapport. Autre fait rapporté par l’enquête : « Lors d’un autre incident survenu en 2021, le JNIM, après s’être emparé de la voiture d’une ONG dans la région de l’Est, a offert aux membres de l’ONG une petite somme d’argent pour le dérangement occasionné et leur a rendu leurs encas (provisions) avant de partir avec la voiture. » 

Le vol d’ambulances

Mais ce groupe ne vole pas que les voitures des ONG. Cela résonne même comme une exception, selon le rapport. Le groupe est aussi expert en vol de voitures individuelles et de convois routiers. « Au début du mois d’avril 2022, un convoi de huit véhicules neufs de l’ONU à destination du Niger aurait été volé par des combattants présumés du JNIM sur la route entre Matiacoali et Kantchari », souligne-t-il. Les ONG aussi semblent avoir compris le jeu : « Elles évitent de plus en plus de conduire des voitures convoitées afin d’éviter de tels vols. »

Un employé d’ONG qui était chargé du suivi des incidents de sécurité au Burkina a indiqué en mai 2022 « que huit ambulances de district appartenant à l’État avaient été volées depuis le début de l’année dans plusieurs régions du Burkina Faso ».

Selon l’analyse de l’Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale, en s’emparant de ces nouveaux véhicules, les groupes armés empêchent en même temps l’État de jouer son rôle de prestataire de soins de santé aux habitants. « Un superviseur de la sécurité minière indique que la dernière ambulance en service à Dori a été volée en janvier 2022, et une femme enceinte, qui se trouvait à bord pour être conduite à l’hôpital, est décédée de complications après avoir été abandonnée sur le bord de la route. »

Le détournement de camions

Un autre fait dans lequel s’illustrent les groupes armés: le détournement de camions et camions-citernes. Selon le rapport, plusieurs exemples attestent cette affirmation. « Très souvent, les groupes armés volent des camions transportant des marchandises essentielles, telles que de la nourriture ou du carburant. », souligne le rapport. Le chauffeur est généralement laissé « sain et sauf » après que celui-ci a conduit le camion jusqu’à un endroit isolé dans la brousse. « Les chauffeurs sont parfois, mais pas toujours, autorisés à repartir avec leur camion ; dans le cas contraire, ils doivent trouver de l’aide à pied. » L’étude n’a pas pu confirmer, avec les sources interrogées, si les camions sont revendus sur pied ou en pièces détachées. « Selon elles, l’existence d’un cimetière de camions abandonnés dans la brousse est plus probable. »

Les vols de voitures permettent l’exécution de la stratégie de la perfidie

Des témoignages révèlent que les vols d’ambulances, de véhicules d’ONG, etc. permettent aux groupes armés d’entrer dans certaines zones sans éveiller de soupçons et d’y commettre des actes criminels. Ces témoignages ne sont pas « infondés : de « faux » véhicules aux couleurs de l’ONU ont ainsi été utilisés lors du bombardement de l’aéroport de Gao en 2018. »

Des commerçants acheteurs de voitures volées n’y voient pas d’immoralité

Les voitures volées constituent une manne financière pour les groupes armés et leur permettent également de s’équiper en moyen de transport. Des commerçants complices de ces actes s’en frottent les mains, sans remords. Un chercheur a fait l’amer constat sur le terrain : « vous feriez mieux de vous préoccuper davantage du commerce des bébés et des organes que d’entrepreneurs honnêtes comme moi. Je suis accablé de droits de douane chaque fois que je me rends à Sokoto (Nigeria), et je dois laisser certains policiers prendre des pièces détachées pour pouvoir en vendre d’autres ».

Les « bandits de grands chemins » en profitent

Le rapport révèle aussi la dynamique du vol des véhicules par les bandits de « grands chemins », les acheteurs et les lieux où les séries des véhicules volés sont « blanchies ». Les bandits et voleurs de voitures sévissent dans les zones sous influence des groupes armés. Ceux qui sont impliqués dans le « blanchiment » de voitures volées (établissement de fausses plaques d’immatriculation et de faux papiers) sont localisés dans une ville située à la frontière du Niger et du Nigeria.

par Marie D. SOMDA, Sira info

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