Syndicat des magistrats burkinabè : « Il s’impose de renoncer aux réformes judiciaires envisagées, attentatoires à l’indépendance de la justice »

Le gouvernement veut modifier la Constitution et apporter des réformes à l’institution judiciaire. L’Assemblée législative de Transition (ALT) est à pied d’œuvre pour son adoption. Le Syndicat des magistrats burkinabè (SMB) a été invité par l’ALT à faire des observations en ce qui concerne les réformes touchant la justice. Le SMB a sacrifié à cet exercice en donnant sa lecture. Le syndicat y voit une tentative d’instrumentalisation de la justice et estime qu’une renonciation aux réformes judiciaires s’impose.

Les réformes judiciaires ne passent pas. Les syndicats y voient une envie de l’exécutif d’embrigader la justice. Et ils ne manquent pas d’arguments. Premier argument sur les motifs avancés par le gouvernement : « la politique pénale du chef de l’Etat ». Selon le compte-rendu du Conseil des ministres du 6 décembre 2023, le rattachement du parquet au ministre de la Justice entre dans le cadre de la « vision de la politique pénale du Chef de l’Etat ». Le syndicat se pose des questions : « quelle est la vision de la politique pénale du chef de l’Etat ?Comment peut-on procéder à une révision constitutionnelle qui aura pour effet d’assujettir le ministère public à l’exécutif sur le fondement d’une politique pénale inconnue et au contenu incertain ? L’ALT doit-elle procéder à des réformes constitutionnelles dans l’intérêt de la volonté du peuple ou plutôt dans le sens de la politique pénale du chef de l’Etat ? ». Pour le SMB, si cette politique pénale concerne les peines alternatives à l’emprisonnement « évoquées à plusieurs reprises par le chef de l’Etat, celles-ci sont déjà consacrées dans le Code pénal de 2018 et le Code de procédure pénale de 2019. Comme telles, aucun magistrat, fut-il parquetier, ne s’est jamais opposé à la prise de telles mesures alternatives légalement consacrées ». Le syndicat estime qu’il convient de décliner « au préalable au peuple la vision de la politique pénale avant d’opérer des réformes ».

« Il est impératif de maintenir la déconnexion du parquet du ministre de la justice »

Un autre motif avancé par le ministre en charge de la justice pour justifier l’assujettissement du parquet au gouvernement ne convainc pas le syndicat des magistrats. Il s’agit de la recherche de l’efficacité et de l’harmonie dans la mise en œuvre de la politique pénale. Selon lui, le ministre a affirmé que nulle part au monde, même dans les « pays démocratiquement avancés », il n’existe pas un parquet qui n’a pas un lien avec le ministre de la justice. « Cet argumentaire est tout aussi impertinent que fébrile pour justifier la prise en otage des Procureurs du Faso et des Procureurs généraux par le gouvernement », martèlent Diakalya Traoré et ses camarades. Et ils s’expliquent. Pour eux, même s’il était avéré que le Burkina est le seul pays au monde à avoir cette déconnexion, « il ne devrait pas souffrir d’un complexe d’infériorité infantile et rétrograde en refusant d’être l’avant-garde des changements profonds dans son système judiciaire » et même d’inspirer ces pays avancés. Ensuite, le syndicat souligne qu’aucune étude ne prouve qu’il y a une inefficacité de la justice liée à la déconnexion du parquet à l’exécutif. « Aucun parquet n’a résisté à la mise en œuvre d’une politique pénale déclinée par un gouvernement », dit le syndicat dans son adresse aux députés. Et il fait une proposition : « Dans l’intérêt du justiciable, il est impératif de maintenir la déconnexion du parquet du Ministre de la justice, donc du gouvernement. Instituer le contraire, c’est instituer la manipulation à souhait du parquet par l’exécutif ; c’est consacrer une justice aux ordres du politique ; c’est aussi instituer une mesure anachronique combattue à la faveur de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et bannie par le Pacte pour le renouveau de la justice de 2015 ! »

Le futur CSM sera un organe politique et non judiciaire »

Le SMB a fait une lecture combinée de différents documents qui montrent « le souhait sans équivoque » des Burkinabè d’avoir une justice « affranchie des influences du pouvoir politique, détenu par le gouvernement, et du pouvoir économique détenu par les hommes d’affaires ou de toute autre influence ». Il n’y a donc pas de doute pour ce syndicat : l’exécutif veut étouffer l’indépendance de la justice. Et il a des arguments.  Le rattachement du parquet au ministre de la justice, dit-il, « revient à créer une justice marionnette au service du pouvoir en place, au détriment du justiciable ». Dans l’avant-projet de Constitution, l’article 130 stipule que « les magistrats du siège ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi. Ils sont inamovibles. Les magistrats du parquet sont soumis à la loi, à l’autorité de leurs supérieurs hiérarchiques et celle du ministre chargé de la justice ». Mais il y a problème. En réalité, si le juge au siège n’obéit pas au ministre comme celui du parquet, sa nomination est intimément liée au Conseil supérieur de la magistrature. « S’agissant des magistrats du siège, leurs carrières, nominations, affectations et leur discipline seront décidées par un organe politique à la solde de l’exécutif en ce sens que, d’une part, la moitié des membres du CSM non magistrats sera désignée probablement par l’exécutif ou des structures acquises probablement à sa cause (l’intention étant la prise du contrôle totale du CSM) et, d’autre part, le mode de désignation du Président du CSM et de la moitié des membres magistrats est encore décidé par l’exécutif. Le dispositif envisagé est tel que les magistrats du siège seront animés naturellement par le réflexe de faire allégeance au pouvoir politique pour prétendre à des nominations, affectations et promotions alléchantes, ainsi que cela était le cas par le passé ! », expliquent Diakalya Traoré et ses camarades. En ce qui concerne les magistrats du parquet, « l’objectif projeté est que les actions tendant à poursuivre un citoyen devant la justice ou de ne pas le poursuivre soient décidées depuis la Présidence du Faso, dans la mesure où, dans notre système politique, c’est le Président du Faso qui nomme le Ministre de la justice et, subséquemment, peut mettre fin à ses fonctions ministérielles à tout moment. »

Autre point : les réformes prévoient que la moitié des membres du Conseil supérieur de la magistrature soit des non magistrats. « Une telle configuration vise simplement à prendre le contrôle du CSM par le pouvoir politique, le CSM étant l’organe chargé des nominations et affectations des magistrats, de leur carrière et de leur discipline. Il est évident que l’objectif recherché par le régime en place est de créer une caisse de résonnance à son profit. Le futur CSM sera un organe politique et non judiciaire », martèle le syndicat. Le SMB fait une proposition : « Il s’impose de renoncer aux réformes judiciaires envisagées, réformes attentatoires à l’indépendance de la justice et contradictoires à la volonté populaire constamment depuis 1995 ! »

par Lomoussa BAZOUN

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