Burkina/Justice : Il usurpe l’identité de son ancien avocat et se fait condamner à un an de prison ferme

Un père de famille, la trentaine bien sonnée, comptable de profession, a comparu au Tribunal de grande instance (TGI) Ouaga II dans la matinée du 16 février 2024. Il est poursuivi pour des faits « d’escroquerie simple, d’escroquerie aggravée » et pour « usurpation d’identité ». Monsieur Y (nom d’emprunt) est trainé en justice par Me Wandaogo, son ancien avocat et par N.D., son associé d’affaires. Il a été reconnu coupable de tous ces trois chefs d’accusation et condamné, séance tenante.

Monsieur Y (nom d’emprunt) a été reconnu coupable au TGI Ouaga II.  Il est soupçonné d’avoir trempé sa babine dans des affaires très louches. Un peu évasif et dubitatif au début, il a fini par reconnaitre les faits d’« escroquerie simple » portant sur  la somme de près de 18 millions de Francs CFA, d’« escroquerie aggravée » portant sur un montant de 275 000 Francs CFA et d’usurpation de l’identité de Me Wandaogo, qui a été par le passé son avocat.

Les faits remontent en 2022. Monsieur Y approche la victime N.D. et lui expose un plan d’affaires très alléchant : un projet de création d’une entreprise dénommée Connected Holding. Mais l’initiateur qu’il est n’a pas assez de ressources financières. Alors il souhaite que la victime N.D. soit son associé avec une part sociale de 40%. L’approche est un succès.  N.D. valide le projet :  marché conclu.

N.D. mise financièrement pour mettre sur pied l’entreprise : une dizaine de millions FCFA. Mais le business ne produit rien : pas de bénéfices. Il commence à s’intéresser aux documents comptables de leur entreprise : toutes les dépenses viennent en réalité des fonds qu’il a injecté. Le partenaire, initiateur du projet avec 60%, n’apporte rien financièrement aux activités de la société. N.D. ne veut pas se faire gruger. Il demande et obtient une augmentation de ses parts sociales de 5%. Désormais 55% reviennent à Monsieur Y et 45% pour N.D.   Jusque-là, tout va bien ! Mais la tension ne tardera pas à monter d’un cran entre les deux partenaires.

La cogérance de l’entreprise refusée

Les envies accroissent. N.D., le principal bailleur de fonds dans la mise en place de l’entreprise, veut avoir un regard dans la gestion. Il réclame la cogérance. « J’étais associé dans une autre entreprise qui a pris un coup à cause de cette histoire de cogérance. C’est pourquoi j’ai refusé la demande de cogérance de N.D. », a justifié Monsieur Y, à la barre. C’est apparemment à ce niveau que l’attendait le parquet. Le procureur rappelle à Monsieur Y l’histoire qu’il a évoquée. Et ce dernier est vite rattrapé par sa propre histoire. La société querellée serait sa troisième.

 Selon le procureur, Monsieur Y avait créé auparavant la société dénommée France Digital. Il a, ensuite, créé l’entreprise Connected Group et enfin Connected Holding. « A quelle fin ? », s’interroge alors le Parquet. « Le prévenu vole en fait d’entreprise en entreprise afin de réaliser ses plans d’escroquerie », a conclu le Parquet. Mais comment s’y prend-il ?

Un compte WhatsApp et des messages au nom de Me Wandaogo

Selon l’avocat du plaignant, Me Sangaré, Monsieur Y s’apercevant que son client n’était plus prêt à investir son argent sans comprendre, il a fait usage d’un numéro de téléphone pour se faire passer pour Me Wandaogo, via un compte WhatsApp. « Mon client (N.D.) était prêt à porter plainte auprès du Bâtonnier contre cet avocat (Me Wandaogo) pour complicité d’escroquerie. Imaginez la suite, Monsieur le Procureur », a poursuivi le Conseil de N.D.

Me Wandaogo, victime d’usurpation d’identité, explique dans quel contexte, il a connu le prévenu Monsieur Y. « Notre cabinet a été approché en 2022 par Y… dans le cadre d’une affaire qui l’impliquait. Nous l’avons assisté jusqu’à la clôture de ladite procédure. Et après, Y…  m’a fait comprendre qu’il se relancerait avec une autre entreprise. Je l’ai alors conseillé de suivre les procédures normales afin d’éviter la mésaventure qui a abouti à la précédente procédure judiciaire. Le cabinet suit le dossier de Y… mais n’est mêlé ni de près ni de loin aux faits ici exposés. C’est avec la présente procédure que le Cabinet Wandaogo a pris véritablement connaissance des sombres contours du dossier dont il pensait avoir la charge. Les échanges WhatsApp en mon nom ne m’ont été révélés que devant le Parquet. Le numéro en question n’est pas de moi et je n’ai jamais échangé avec le plaignant ici présent. », explique l’avocat.

Me Sangaré avait en effet vérifié l’identité cachée derrière ledit numéro. Il est identifié au nom de Ouédraogo Awa. C’est en effet Monsieur Y… lui-même qui a payé le numéro, en a créé un compte WhatsApp. Il échange ainsi avec le plaignant en se faisant passer pour Me Wandaogo et parvient ainsi à lui escroquer la somme de 275 000F CFA comme frais du dossier de formalisation de Connected Holding.

Pourquoi procède-t-il ainsi ? Quel intérêt a-t-il à se faire passer pour Me Wandaogo et à quelle fin ? Le prévenu lâche juste que c’est un acte irréfléchi. Dans le fond, la stratégie n’est pas banale. Il envoie lui-même des messages sur le compte WhatsApp attribué à Me Wandaogo, à travers son compte personnel. Il envoie ensuite des captures d’écran à N.D. afin de le convaincre qu’il a l’assurance de son avocat, Me Wandaogo.

Le procureur revient à la charge en qualifiant ces faits d’escroquerie aggravée. Vous avez fait usage des réseaux et de l’image d’un avocat. Le prévenu, face aux juges, regrette ses actes : « Je m’en veux tellement », répond-il      au procureur.

Selon l’avocat du plaignant N.D., Me Sangaré, son client a subi des préjudices.  Il demande l’attribution de la plateforme (l’entreprise) et les divers biens à son client ou à défaut le remboursement de la somme investie. Un montant total de plus de 18 millions FCFA. L’avocat souhaite que son client soit dédommagé à hauteur de 30 millions FCFA et 1,5 million F CFA pour les frais de procédure.

Condamné à une peine d’emprisonnement de 36 mois dont 12 mois ferme

« L’infraction d’usurpation d’identité est clairement élucidée », clame Me Barry, également Conseil de Me Wandaogo. Selon elle, l’action de Monsieur Y est bien mûrement réfléchie. Elle a prié le Président du Tribunal de punir ces agissements qui ternissent l’image de la justice, de la profession d’avocat et celle de Me Wandaogo notamment. L’avocat victime d’usurpation d’identité réclame « 1 F symbolique pour le préjudice subi et la somme de 2 millions de francs CFA pour les frais d’avocats ».

Pour le procureur, le prévenu n’est pas un déficient mental : « il l’a fait sciemment ». Le Parquet requiert alors une peine d’emprisonnement de 24 mois dont 6 mois ferme et une amende de 20 millions de francs CFA ferme.

Les conseils du prévenu reconnaissent les faits : « Les faits ne sont pas contestables (…) Nous demandons pardon à votre juridiction. Nous ne minimisons pas les faits. Mais le prévenu est déjà dépassé par la situation. Notre client n’avait pas vraiment mesuré l’ampleur de ses actes. »

La décision du Tribunal n’a pas tardé. Le prévenu Monsieur Y est condamné à une peine d’emprisonnement de 36 mois dont 12 mois ferme. Il est aussi condamné à verser plus de 23 millions de francs CFA au plaignant N.D

Par Judichaël KAMBIRÉ, Sira Info

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