Dramane Sankara : L’ancien élève et militant syndical qui met en pratique ses connaissances scolaires dans la soudure

De son Diosso natal situé à près de 400 kilomètres de Ouagadougou, il s’est fait connaitre du monde de l’Education nationale à travers son militantisme. Coordinateur de l’Association des élèves du secondaire de Ouagadougou, Dramane Sankara et ses camarades ont mené plusieurs mouvements d’humeur d’élèves pour réclamer de meilleures conditions d’études et amener les dirigeants à s’intéresser à leur cause. Inscrit au Lycée professionnel régional du Centre (LPRC), il y est sorti avec un Certificat d’Aptitude professionnelle (CAP) et un Brevet d’études professionnelle (BEP) en 2017, option construction métallique. Faute de moyens, il a dû abandonner l’idée d’obtenir un BAC Pro.  Depuis 2021, ce pur produit de l’école burkinabè se bat pour faire rayonner une entreprise spécialisée dans la Soudure. Sira info est allé à sa rencontre.  

17 février 2024. Midi s’invite peu à peu au quartier Somgandé de Ouagadougou. Meule ou scie en main ou encore des baguettes… Trois jeunes gens sont à l’œuvre. De grosses lunettes sur tous les visages. Des meubles de domicile ou de bureau, des portes, des fenêtres et bien d’autres prennent forme çà et là. D’autres, déjà achevés attendent de connaitre leurs destinations. Vous l’aurez compris, nous sommes dans un atelier de soudure. Global Construction, peut-on lire de part et d’autre sur les murs. Nous avons rendez-vous avec le premier responsable, Dramane Sankara. Un jeune de 30 ans. Dans un coin de l’atelier, trône un tee-shirt à l’effigie de l’Association des élèves du secondaire de Ouagadougou (AESO).

Au lycée à Ouagadougou, il est orienté dans la filière de la construction métallique

L’école primaire publique de Diosso, dans la commune de Karangasso-Vigué, province du Houet est celle qui a vu les premiers pas de Dramane Sankara. Il avait déjà sept ans. Il y obtiendra le Certificat d’Etudes Primaires (CEP). Il a été ensuite soumis au test d’entrée dans les écoles techniques (CEP+ET) au lieu de l’entrée en sixième. Pourtant, il n’existait pas encore d’école technique dans la province du Houet ni dans la région des Hauts-Bassins, encore moins dans sa commune rurale de Karangasso-Vigué. Il fait alors face à une grande décision. Soit il rallie la capitale Ouagadougou ou il abandonne le rêve d’intégrer une école technique. Fils d’une famille modeste ; père paysan et mère ménagère, comment s’offrir ce luxe ? Le dilemme est réel ! Mais une bonne volonté lui ouvre les portes de sa maison.

Dramane Sankara a été accueilli à Ouagadougou par son oncle. « Il m’a vraiment pris comme son fils, sur tous les plans. Je ne cesse de le remercier pour ce qu’il a fait de moi », reconnait-il. Il s’inscrit ainsi au Lycée professionnel régional du Centre (LPRC). Il est orienté dans la filière de la construction métallique : la soudure pour faire simple.

Une vie scolaire marquée par un militantisme syndical

Le parcours de Dramane Sankara au LPRC n’a pas été un long fleuve tranquille. Les responsables de l’éducation nationale connaissent bien ce jeune qui dirigeait les mouvements d’humeur des élèves du Kadiogo pour réclamer de meilleures conditions d’études.

De fait, un an après son arrivée à Ouagadougou et dans son nouvel établissement, Dramane Sankara s’est forgé de nouvelles convictions. L’enfant de Diosso, confronté à ses nouvelles réalités d’études, décide d’être un militant. Dès la classe de 5e, il rejoint l’Association des élèves du secondaire de Ouagadougou (AESO) en 2011, comme militant de base. « Avec les évènements de Koudougou (Ndlr : l’affaire Justin Zongo), on a participé au mouvement pour exiger la lumière », se rappelle-t-il. L’année suivante, en 2012, Dramane Sankara a déjà la confiance des responsables de la section LPRC de l’AESO. Jugé digne confiance, il est membre du bureau de sa section au poste de secrétaire général. En 2013, il est élu secrétaire exécutif de la section LPRC de l’AESO. Là, il imprime sa marque. « Il n’y avait pas de bureau exécutif. J’avais remarqué en fait un désordre qui entachait nos actions. En 2014, j’ai donc invité les camarades à réfléchir sur comment fédérer nos énergies afin que l’on travaille dans une synergie d’actions », détaille l’ancien coordinateur de l’AESO.

Sa démarche est validée par ses camarades. Un bureau de coordination est mis en place. L’AESO fait partie des organisations de jeunes qui ont pris part à l’insurrection de 2014. Mais Dramane dit être plus motivé par les conditions d’études au LPRC. « Il y avait de sérieux problèmes de salles de cours. Parfois, avec le professeur, on tournait dans la cour de l’établissement. S’il n’y a pas de salle disponible, il nous disait de rentrer et revenir à la prochaine séance. Pis, il n’y avait pas assez de matériels pour la pratique. On la faisait pratiquement une fois dans la semaine », regrette-t-il. Mais ce militantisme n’a pas été sans conséquences : des menaces et intimidations ! « Les surveillants ont essayé de me mettre en conflit avec mon tuteur. Ils sont passés lui faire comprendre que je suis un bandit qui non seulement refuse de bosser mais aussi et surtout perturbe mes camarades. Et que je serais renvoyé à la fin de l’année. Faire comprendre le contraire n’a pas été chose aisé pour moi », se souvient encore l’ancien coordinateur l’AESO. Les actions de l’association des élèves dérangent jusqu’aux dirigeants politiques qui, selon lui, ont voulu casser la dynamique. « Un politicien dont je tairais le nom m’a proposé un poste dans une mine, et j’ai dit non au nom de mes convictions. Je ne lutte pas seulement pour moi. Je lutte pour une amélioration en faveur de mes camarades et des générations futures », insiste encore le jeune militant.

Pour Dramane, l’AESO tout comme bien de structures à caractère syndical insufflent des valeurs sociales et humaines. Honnêteté, courage, engagement, honneur, patriotisme, le respect du bien commun… Le militantisme est une école qui lui a enseigné des leçons qui ne figurent pas dans les programmes éducatifs.

Premiers pas dans l’entreprenariat

Côté études, le jeune élève militant obtient le Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) puis le Brevet d’Etudes Professionnelle (BEP) en 2017. Il lui restait le Baccalauréat professionnel. Mais le LPRC ne disposait pas de cette filière. Dramane tente alors de s’inscrire à Bobo. Mais impossible : insuffisance de moyens financiers.

L’élève ne baisse pas pour autant les bras. Il force le destin, tâtonne sans lâcher prise. Et ses efforts, sa persévérance, sa combativité et sa foi en un avenir radieux finissent par payer. A défaut d’un BAC Pro, le jeune élève décide de se lancer dans l’entreprenariat avec les connaissances acquises au cours de son cursus scolaire. Et c’est ainsi que nait Global Construction.

L’histoire de cette entreprise commence sur les réseaux sociaux. « J’étais assis un soir avec mon ami, et d’un coup, je lui ai dit que je vais lancer mon entreprise. Il m’a tout de suite demandé si je suis fou et ce avec quoi je lancerais mon entreprise », se souvient Dramane qui regrette par ailleurs le décès brusque de cet ami. Il dit avoir assez bénéficié de son aide.

Pour lancer Global Construction, un téléphone portable et un ordinateur ont suffi. Une sorte de phase pilote pour jauger le marché. L’entreprise n’existe que de nom, avec une page Facebook.

Dramane Sankara a en effet mis à contribution les talents d’infographe de son défunt ami pour s’offrir une carte de visite virtuelle et le logo de son entreprise. Il se met à promouvoir les services de Global Construction à travers un marketing digital. Des photos de meubles et de lui-même à la tâche y sont publiées régulièrement. Des encouragements manifestés à travers des commentaires et partages de la part des amis et camarades le motivent au quotidien.

Pour le premier marché, il empoche 30 000 FCFA comme bénéfice

Mais le succès tarde à pointer le nez. Il persévère. Des mois de promotion et de prières finissent par payer. Global Construction obtient enfin son tout premier marché. Pur produit de l’école burkinabè, le jeune entrepreneur n’a que ses connaisses acquises dans les classes du lycée. Sans moyens financiers pour l’acquisition du matériel nécessaire, comment s’y prendre pour exécuter ce marché qu’il a tant cherché ?

Il finit par se mettre dans la peau d’un vrai homme d’affaires. Vouloir tout faire seul et gagné seul peut conduire à la perte totale de ce marché. Dramane Sankara se souvient alors d’un tonton soudeur dans son quartier. Ce dernier a appris le métier sur le tas. Il propose une collaboration entre Global construction et ce soudeur. L’approche est une réussite : marché conclu. Les meubles commandés sont confectionnés dans l’atelier dudit tonton. Et pour ce premier marché d’une valeur de 350 000 FCFA, Sankara empoche 30 000 FCFA comme bénéfice. Il se rend ainsi compte que le succès est possible. D’autres occasions s’offrent à Dramane. Même scénario que pour le premier marché.

Plus les opportunités se présentent, plus les ambitions grandissent. « Au bout de six mois, j’avais besoin maintenant d’un pied-à-terre pour voler effectivement de mes propres ailes », explique-t-il. Il expose ses ambitions à l’un de ses oncles. Ce dernier dispose d’une quincaillerie. L’objectif est clair : avoir le matériel notamment un poste à souder et une meule. Et l’idée derrière est d’avoir un local sur la base de ses économies. Mais sa proposition ne passe pas totalement. Son oncle ne croit pas vraiment à la viabilité du projet mais lui tend tout-même la main. « Il m’a tout de suite demandé comment je comptais honorer la facture. Finalement, il m’a donné le poste et une signole ». Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. C’est un bon début. Global Construction peut déjà démarrer. Aujourd’hui, Dramane se réjouit de pouvoir transmettre ses connaissances à deux jeunes apprentis-soudeurs et à son associé. Et il rêve grand. Il veut faire de Global Construction une entreprise incontournable en matière de construction métallique au Burkina. Son entreprise propose plusieurs services dont des chaises de jardin, de terrasse, des ouvertures métalliques, des canapés, des tables-bancs, des lits, des hangars métalliques, etc. La jeune entreprise emploi au moins quatre (4) personnes, selon son promoteur.

Pour Mohamed, son ami Dramane est « un jeune techniquement compétent, socialement utile et politiquement conscient »

Après le lycée, Damane Sankara n’a pas abandonné le militantisme. Il est actuellement membre de l’Organisation démocratique de la Jeunesse (ODJ) et bien d’autres structures sœurs.

Ses amis et connaissances ne tarissement pas d’éloges. « Je l’ai encore observé quand il a lancé son entreprise Global Construction. J’ai cru à un moment donné qu’il allait abandonner au regard des réalités du monde entrepreneurial. Mais il tient. Dramane est une personne fidèle à ses principes, qui aime sa famille et surtout le travail bien fait », confie son cousin Adoul-Aziz Ouédraogo. Mohamed, un ami et camarade de lutte ne dit pas le contraire : « Sankara est pour moi un enseignant. C’est un jeune discret aux conseils précieux avec un esprit de discernement pointu. Il est aussi un travailleur acharné. », assure-t-il. Pour Mohamed, son ami Dramane est « un jeune techniquement compétent, socialement utile et politiquement conscient ».

Dramane Sankara invite la jeunesse scolaire et estudiantine à entreprendre, à se former et à lutter pour de meilleures conditions de vie. C’est en cela que chaque génération léguera aux générations suivantes un Faso viable.

 Par Judichaël KAMBIRE, Sira info

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