Adama Siguiré au tribunal : «J’ai raisonné par démonstration et par déduction suivant les principes de la logique. »

Lundi 4 mars 2024. A 9h50, l’écrivain Adama Siguiré est appelé à la barre. Après plusieurs renvois, le dossier de la Confédération générale du travail du Burkina contre lui est retenu.  La salle d’audience du Tribunal de grande instance Ouaga l est pleine. Mais le procès ne connaitra pas son épilogue ce 4 mars. Après des débats, parfois houleux sur les motivations et la réclamation des preuves qui ont soutenu les déclarations de l’écrivain sur les réseaux sociaux, le procès a été finalement renvoyer au 26 mars pour entendre la plaidoirie des avocats.

A l’audience, après les débats sur  le « faux incident », place à l’interrogatoire. Le prévenu Adama Siguiré ne reconnaît pas les faits de diffamation et d’injures publiques qui lui sont reprochés. Pour se défendre, avance deux arguments. Pour lui, ses déclarations sur les réseaux sociaux contre la CGT-B sont fondées. Il explique au tribunal qu’il est cartésien, penseur et écrivain professionnel. A l’entendre, sur la base de la logique cartésienne, il n’a dit que la vérité. « Nous sommes en guerre. Et pour cela, le chef de l’État a demandé une contribution aux fonctionnaires. La CGT-B a dit aux fonctionnaires de pas contribuer. Et elle veut organiser un meeting pour dénoncer la vie chère. Madame la Présidente du tribunal, comment on appelle ça ? Dans un pays en guerre, tout le monde doit contribuer. Et la guerre va avec vie chère. Alors, la CGT-B a choisi son camp qui n’est autre que celui de l’impérialisme. Et c’est justement ce que j’ai dit. Elle sert, travaille pour l’impérialisme », a-t-il tenté de démonter. Il appelle cela un raisonnement logique. Sur la question des fonds qu’auraient reçus la CGT-B pour la déstabilisation de la transition selon ses déclarations sur les réseaux sociaux, sa ligne de défense est une « démonstration logique ». Mais le tribunal n’attend pas la démonstration, il veut des preuves des affirmations de l’écrivain. « Quelles sont donc les preuves de vos allégations ? », demande le tribunal. Adama Siguiré soutient que les preuves sont là : « J’ai raisonné par démonstration et par déduction suivant les principes de la logique. C’est quoi donc une preuve ? C’est une démonstration, pour moi, une preuve est une démonstration logique. Et j’ai cherché la signification avant de venir au tribunal. Est-ce le seul sens donné par le dictionnaire ? C’est ce que je connais. Mobiliser des militants pour dénoncer la vie chère est synonyme de déstabilisation. Nous sommes en guerre et la mobilisation générale a été décrétée. La CGT-B fait la promotion de la paresse, de la fainéantise dans l’administration publique. C’est de l’inconscience ».

Pour lui, la CGT-B est contre le Burkina Faso. Et les preuves qu’il exhibe sont des publications de l’activiste proche du pouvoir de transition Ibrahima Maïga. « Il a clairement dit que Moussa Diallo a pris la cagnotte. Et ça, jusqu’à ce jour, ni Moussa Diallo ni la CGT-B n’a osé répondre. En tant que logicien cartésien, j’ai déduit qu’ils ont pris l’argent pour exécuter leur plan. C’est un raisonnement logique, c’est donc vrai. », dit-il.

Les avocats de la CGT-B entrent dans la danse

La partie civile se fait entendre. Me Prosper Farama s’avance et commence par des questions définition des termes utilisés dans la ligne de défense du prévenu : « Dites au tribunal ce que vous entendez par logicien. »  « C’est celui qui raisonne par logique. », répond l’écrivain.  « Est-ce que vous pensez que tout ce qui est logique est vrai ? ». Là aucune réponse. Me Farama continue son raisonnement : « Vous dites que tout ce qui est démonstration est par essence est vraie ? Non! Est-ce rationnel ce qui vient de la raison. Alors, dire que Siguiré soutient la transition parce qu’il a pris de l’argent, est-ce que ça vient de ma raison ? Non, ce n’est pas logique. » Mais à ces derniers propos de l’avocat, Adama Siguiré répond : « J’ai perdu mon village, ma commune… Je suis dans des déductions cartésiennes. »

Me Ambroise Farama avocat aussi de la CGT-B prend la parole. Il demande au prévenu des réponses précises : « Monsieur Siguiré, vous dites que des financements ont été reçus. Combien a été reçu ? ». Réponse : « Je ne sais pas. »  « Qui a reçu l’argent ? ». Réponse : « La CGT-B. C’est Moussa Diallo qui a reçu l’argent. Où ? Je ne sais pas. A quelle heure ? Je ne sais pas. Des mains de qui ? Je ne sais pas. » Question : « L’impérialisme, c’est qui ? » Réponse : « C’est ceux qui rament à contre-courant. » Question : « C’est quoi un contrat tacite ? » Réponse : «  Prenez ça et aidez-nous à déstabiliser la transition. » L’avocat conclut qu’un contrat tacite n’est donc pas écrit, ce que reconnait Adama Siguiré. « Mais vous avez écrit que des contrats tacites ont été signés. Comment donc ?, questionne l’avocat.

Quant Me Somé, avocat de la partie civile également, il s’intéresse d’abord, à la posture du prévenu : « Occupez-vous une fonction officielle dans la transition, monsieur Siguiré ? » « Non », répond-il. « Et vous parlez pourtant comme un officiel, lance l’avocat. « Qui est Ibrahima Maïga ? » Réponse :  « Maïga est un grand patriote. J’ai demandé son autorisation pour ce qu’il a écrit comme preuve. 

« Je suis un écrivain public, mais pas comme les autres. Je suis un écrivain engagé. »

En droit, surtout en matière pénale, commence-t-il, ce n’est pas une question d’interprétation, de logique. Ce sont les preuves, martèle le parquet. « Le raisonnement par déduction ne marche pas en matière pénale. Vous avez fait des déclarations aussi graves. Fournissez les preuves. Mais si vous refusez, c’est votre droit, et l’on avisera », explique la procureure à Adama Siguiré.

« Je suis un écrivain public, mais pas comme les autres. Je suis un écrivain engagé. Je n’ai rien fait. Je n’ai fait que communiquer. Avec tout le respect que je vous dois, madame le procureur, si mon acte est immoral, l’acte de la CGT-B est plus immoral. Mes déclarations s’inscrivent dans un contexte. Le Burkina est en guerre. Si c’était en Ukraine, la CGT-B subirait pire. Ils ont posé un acte immoral, un acte antipatriotique. Pour le Burkina, je suis prêt me battre, à communiquer. C’est la communication de guerre. », se défend-il.

Mais le parquet revient très vite à la charge. « Votre compréhension du terme preuve semble ne pas coïncider avec notre compréhension du tribunal. On a très bien compris votre démonstration. C’est comme un château de cartes. Mais en réalité, qu’est-ce que vous cachez ? Votre incapacité à apporter les preuves ? Comment voulez-vous que l’on vous suive si vous refusez de donner les précisions nécessaires ? », martèle la procureure.

L’écrivain professionnel Adama Siguiré a été rappelé maintes fois à l’ordre par le tribunal, sur le fait de parler très fort au point de perturber. Il a reconnu et salué le professionnalisme de la justice. Ses preuves se résument cependant à sa « démonstration logique cartésienne ».

Au sortir de cette audience, l’un des conseils de l’écrivain, Me Ahmed Mamane, a confié à la presse que ce procès servira d’école : « La CGT-B présentera des excuses publiques au peuple burkinabè pour ses actes ».

Pour la partie civile, il n’y a pas de doute. Adama Siguiré n’a aucune preuve de ses allégations. C’est juste du mensonge, à croire Me Prosper Farama.

L’audience a été suspendue. Les plaidoiries, les réquisitions, etc. sont prévus pour être connus le mardi 26 mars 2024.

Par Judichaël KAMBIRE, Sira info

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