« Musika » d’Aristide Tarnagda : Une pièce théâtrale qui envoie le lecteur dans les turpitudes du Coltan congolais

Musika est une pièce de théâtre que l’auteur, Aristide Tarnagda, dédie au peuple congolais. Dans cette pièce de « théâtre-réalité », il est question de la souffrance des Congolais victimes de la guerre et ses nombreuses et multiples conséquences. Une guerre qui profite aux exploitants des mines, surtout celles de coltan. C’est un minerai stratégique car beaucoup utilisé dans la fabrication de nombreux appareils de hautes technologies. Le dramaturge dénonce les conditions macabres dans lesquelles s’effectue cette exploitation qui se fait au détriment des Congolais. Cette belle pièce de théâtre suscite la réflexion suivante : que faut-il faire pour que les richesses d’un pays profitent réellement à ses habitants ?

Musika est une pièce de théâtre subdivisée en dix scènes dont un prologue et un épilogue. Elle raconte l’histoire d’un couple (Simba et Musika) s’apprêtant à fuir la guerre qui se rapproche de leur village. Les deux amoureux sont arrêtés par des hommes armés puis emmenés séparément. Musika est enfermée dans un trou et sert d’esclave sexuel. Elle y subit des viols collectifs à répétition. Lorsqu’elle réussit à s’enfuir, elle porte une grossesse qu’elle hésite à avorter. Pourtant Wamba, la vieille femme qui l’a recueillie et soignée, est catégorique : il faut arrêter de procréer pour éviter de fournir aux milices armées des futurs combattants et des ouvriers pour l’exploitation du sous-sol au profit des étrangers. Tous ses quatre fils ont été enlevés de force l’un après l’autre. Elle pense donc « avoir compris leur politique » et a décidé « de combattre cette politique-là » (p. 30) en ne procréant plus et obligeant la future mère à avorter.

 Simba est quant à lui torturé et rendu esclave dans une mine de coltan, un minerai important dans la fabrication de nombreux appareils (téléphones mobiles, ordinateurs, PlayStation, TGV, avions, missiles, fusées…). Il est obligé de creuser pour son maître John, un Blanc qui est aussi attendu par ses patrons dans son pays. Un peu d’humour est nécessaire pour aider à évoquer cette triste situation au théâtre. Il faut creuser car « de millions de gamins ne savent plus jouer qu’avec des PlayStation ; des millions de gens ne savent plus jouer, ni se draguer ni se parler qu’avec des téléphones » (p.21). Et il faut du coltan pour ne surtout pas créer une panne d’amour dans ce monde. « Déjà qu’on est mal avec le peu d’amour qu’il y a sur cette maudite Terre ; que deviendrons-nous avec une panne générale d’amour ? » (p.21). Ainsi, la richesse du sous-sol du Congo est devenue la source du malheur de ses fils et filles à l’image de Simba et Musika. Elles ne profitent qu’aux étrangers dont John n’est qu’un envoyé.

Le coryphée (personnage orchestre), ironique et pamphlétaire

C’est surtout à travers le coryphée que se constate le caractère pamphlétaire de cette pièce de théâtre. En effet, ce personnage occupe une place centrale dans l’œuvre : à lui seul sont consacrées quatre des dix scènes de la pièce de théâtre. Mieux, c’est lui qui ouvre la pièce avec le prologue et la ferme avec l’épilogue. Ses interventions ne peuvent passer inaperçues. Elles sont des tirades en aparté (s’adressant au public) dans le style d’un « one man show ». Il commence par le mot de bienvenue aux spectateurs et les invite ironiquement à se mettre à l’aise (surtout en se servant de leurs téléphones) pour suivre ce « théâtre réalité » (l’histoire de Simba et Musika) dont le spectacle a commencé depuis un demi-siècle.

C’est encore lui qui tient le public en haleine avec son histoire de « théâtre réalité » réalisé grâce à des sponsors messianiques dont on ne tardera à découvrir ni l’identité, ni l’ironie de leur sponsoring. C’est aussi avec ironie qu’il évoque l’objet de ce théâtre qui « n’est pas là pour vous faire avaler coûte que coûte que (…) Kidal, Tombouctou et Gao ne sont que des histoires de fanatisme, et non de gaz, de pétrole, d’or, d’énergie solaire… » (p.14). Il dresse pourtant un véritable réquisitoire contre les sponsors (Appel, Samsung, Polaroid And Cie…) qui se nourrissent de coltan, objet de nombreuses rivalités et donc cause des conflits et crimes de toutes sortes au Congo entre « le M24, les Maï-Maï et Cie » (p.23). Dans son réquisitoire, Le coryphée n’épargne ni l’ONU, ni l’UA, ni le public qui sont aussi responsables à des degrés divers de la souffrance des Congolais. Il se fait donc le porte-voix des Musika et Simba en interrogeant le public : « Entendez-vous ces cris ? Ces cris dans la forêt, ces cris au Kivu, à Goma, ces cris qui déchirent l’horizon du Congo ? (…) Entendez-vous ces cris dans le coltan de vos télés ? De vos portables ? De vos avions ? De vos ordis ? De vos tablettes ? » (p.23).

C’est donc avec ironie et humour, qu’Aristide Tarnagda nous offre une belle pièce de théâtre qui doit pousser à la réflexion : Pourquoi malgré les énormes richesses naturelles et minérales du Congo (qualifié de « scandale géologique »), ses habitants vivent dans la misère ? Que faut-il faire pour que ces richesses profitent réellement aux Congolais ? A notre avis, ce questionnement (dont les dirigeants politiques doivent faire sien) est aussi valable pour d’autres pays africains notamment ceux du sahel dont le nôtre. En effet, ils regorgent de nombreuses ressources minières, mais sont actuellement confrontés à une grave crise sécuritaire. La devise de la comédie ne dit-elle pas qu’«elle (la comédie) corrige les mœurs en riant » ?

En rappel, Aristide Tarnagda      est un comédien, auteur et metteur en scène du Burkina Faso. Il a écrit une quinzaine de pièces théâtrales, dont « De l’amour au cimetière », « Sank ou la patience des morts ». Sa pièce « Terre rouge » a reçu le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire en 2017. Le dramaturge burkinabè a aussi collaboré avec de nombreux artistes en Afrique, en Europe, au Brésil et au Canada. Il est depuis 2016 le Directeur artistique du festival Les Récréâtrales au Burkina.

par Antoine Guibla

Professeur certifié des Lycées et collèges, option Français, Doctorant en Lettres Modernes à l’Université Joseph Ki-Zerbo

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