La « bataille » judiciaire était à un tournant très décisif en leur faveur. Les ex-travailleurs de la Société des mines de Belahourou (SMB), mine d’or d’Inata, étaient en effet, tout près d’avoir gain de cause dans la lutte pour le paiement de leurs droits. Ils ont été illégalement mis au chômage technique. Mais voilà ! Cette procédure judiciaire n’ira pas à son terme. Un autre acteur, du haut de sa toute-puissance, y a surgi les deux pieds joints, brouillant toutes les pistes. En Conseil des ministres du 1er mars 2023, le gouvernement a décidé de la cession des actifs de la mine d’Inata à la société Afro Turk. Montant de la transaction : 2 milliards FCFA. Mais la société, rachetée par le groupe BALAJI, de l’homme d’affaires Visarambhai Narambhai Akoliya, est endettée jusqu’au cou. Elle avait ses créanciers à ses trousses et ils avaient même obtenu la liquidation des biens par la justice en juillet 2022. Et c’est pendant l’inventaire des biens qui devrait prendre fin en juillet 2023 que l’Etat intervient. Il cède l’un des biens les plus précieux de la société à une autre entreprise. Mais les créanciers ne veulent pas se laisser faire.
C’est comme un caillou dans la chaussure du gouvernement. Le dossier des ex-travailleurs de la Société des mines de Belahourou (mine d’inata) risque de poser des difficultés à l’Etat. Les ex-travailleurs ont déposé un recours en indemnisation au Tribunal administratif de Ouagadougou contre l’Etat du Burkina, selon nos informations. Sous l’ancien ministre en charge des mines, Simon Pierre Boussim, le gouvernement a cédé les actifs de la mine d’Inata à 2 milliards FCFA à Afro Turk. Mais visiblement, il s’est attiré d’autres ennuis qui risquent de coûter cher au contribuable burkinabè. La Société des mines de Belahourou (SMB), selon des décisions de justice, doit 8 779 649 291 FCFA à 483 ex-travailleurs, illégalement mis au chômage technique. Plusieurs créanciers de la mine, y compris les ex-travailleurs, avaient demandé aussi en justice, la liquidation des biens de la société afin de faire face aux créances. Et la justice leur avait donné raison en juillet 2022. Et pendant qu’un comité mis en place par le Tribunal du commerce, suite à cette liquidation judiciaire, évaluait les actifs de cette mine (biens financiers, matériels, immobiliers, etc.) pour faire face ainsi aux créances, l’Etat qui fait partie des actionnaires, brouille les cartes.
Les créances de la mine se chiffrent en dizaines de milliards. Rien que pour les ex-travailleurs, les sommes sont énormes. Selon une décision de la Cour d’appel de Ouagadougou, la mine d’Inata doit la somme de 6 631 967 248 FCFA à 483 ex-travailleurs. Cette somme représente le cumul de leurs droits sociaux. Et ce n’est pas tout. Elle leur doit aussi 1 278 618 812 FCFA au titre des « intérêts de droit » et « 3 millions FCFA au titre des frais non compris dans les dépens ». Il y a également une sentence arbitrale de la Cour d’appel de Ouagadougou qui condamne la mine à payer à ses ex-employés 866 063 231 FCFA. Le montant total de toutes ces décisions judiciaires est de 8 779 649 291 FCFA. La mine doit aussi à des entreprises burkinabè et étrangères. Parmi celles du Burkina, il y a Total Burkina SA, AEI Burkina Faso devenue AECI, STL, Nigotrans Burkina devenue R-Logistic (devenue AGL Bukrina), TRANSLOG Burkina, Bolloré transport et Logistics Burkina (devenu AGL Burkina), etc.
La cession des actifs à la société Afro Turk n’a finalement rien produit. Dans le compte rendu du Conseil des ministres du 20 mars dernier, le gouvernement a décidé du retrait du permis d’exploitation industrielle qui lui a été cédé. Raison invoquée : « Depuis la cession de ces actifs, les sociétés Afro Turc Inata SA et Afro Turk Tambao SA n’ont procédé à aucun règlement des sommes dues à l’Etat burkinabè, malgré les interpellations et les mises en demeure ».
L’Etat s’est donc mis à dos tous les créanciers de la société pour une affaire qui n’a pas abouti. Selon nos informations, dans leur défense au Tribunal administratif de Ouagadougou, les ex-travailleurs estiment que l’Etat, en vendant le permis minier au groupe Afro turk, engage sa responsabilité en devenant lui-même l’obstacle au paiement de leurs droits.
Une liquidation des biens avait été prononcée par la Chambre commerciale de la Cour d’appel de Ouagadougou
En effet, le 1er juillet 2022, la Chambre commerciale de la Cour d’appel de Ouagadougou a prononcé la liquidation des biens de la société en vue de payer les droits des travailleurs et des autres créanciers. Un comité dénommé « Syndic liquidateur », dirigé par un expert-comptable burkinabè a été mis en place et avait un mandat d’un an (de juillet 2022 à juillet 2023) pour finir son travail d’évaluation des biens. Mais c’est en plein mandat de ce comité que l’Etat cède les actifs de la même société en mars 2023. L’un des biens les plus précieux de la société est le permis d’exploitation minier. Ce qui a pratiquement brouillé la procédure de liquidation prononcée par la justice. Pour les travailleurs, c’est l’Etat qui est désormais leur problème. « Il doit indemniser les travailleurs à la place de leur ancien employeur. Le permis d’exploitation industrielle a été accordé à la SMB par l’Etat lui-même. Et ce permis constitue un droit réel immobilier, c’est-à-dire un bien qui fait partie de l’actif de la SMB que le « Syndic liquidateur » s’apprêtait à céder à un acheteur pour payer les dettes de la société », explique un des avocats des travailleurs.
L’Etat en principe, qui devait apporter son concours à l’exécution des décisions de justice en faveur des travailleurs. Mais c’est l’Etat encore qui est finalement devenu l’obstacle à l’exécution des décisions judiciaires en faveur des 483 ex-travailleurs
Pour cet avocat des travailleurs, c’est l’Etat en principe, qui devait apporter son concours à l’exécution des décisions de justice en faveur des travailleurs. Mais c’est l’Etat encore qui est finalement devenu l’obstacle à l’exécution des décisions judiciaires en faveur des 483 ex-travailleurs, dont 28 selon nos informations sont décédés sans bénéficier de leurs droits.
Mais la cause de l’Etat est défendue par l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE). Selon nos informations, l’AJE estime qu’il n’y a aucune faute qui puisse engager la responsabilité de l’Etat dans ce dossier. Les substances minérales du sol ou du sous-sol sont de plein droit la propriété de l’Etat.
Le procès n’est pas encore programmé selon nos informations. Son issue situera mieux les différentes parties. Mais l’Etat risque d’y laisser des plumes.
La demande d’indemnisation des ex-travailleurs peut faire jurisprudence, si d’aventure la justice leur donne raison. Les créanciers privés pourraient aussi demander des comptes à l’Etat.
Nous avons adressé le mardi 19 mars 2024 une demande d’entretien au ministère en charge des mines pour mieux comprendre cette affaire, sans savoir que le retrait du permis d’exploitation de Afro Turc était dans les « tuyaux ». Mais notre demande est restée lettre morte.
Par Lomoussa BAZOUN, Sira info