Carrefour des veuves de Monique Ilboudo : Un livre qui célèbre la résilience des femmes dans la crise sécuritaire

De nombreux pays du Sahel sont en proie aux attaques terroristes depuis une dizaine d’années environ. Et « les femmes sont les premières victimes de la terreur aveugle qui endeuille la région. Victimes dans leurs corps, elles le sont également dans leurs cœurs de veuves et de mères éplorées.» (p. 94) Monique Ilboudo à travers le roman Carrefour des veuves rend hommage aux femmes victimes des attaques terroristes. Femmes de soldats au front, veuves et déplacées internes, orphelines déscolarisées, ce roman paru en 2020 présente la manière dont l’autre moitié du ciel vit les affres du terrorisme dans différentes situations. Mais le lecteur réalise aussi que les femmes ne baissent pas les bras. Elles se battent vaillamment.

Carrefour des veuves, c’est l’histoire de Tilaine, une Sage-femme dont le mari est tombé au front suite à une attaque terroriste. Passée la période difficile du deuil, elle réussit à créer et à animer une association pour soutenir les femmes victimes du terrorisme. Tilaine est aidée en cela par ses deux amies, Farida qui est sociologue et Sebyèla, une juriste. L’association a du succès. Elle mène de nombreuses activités en faveur des victimes du terrorisme, seule ou en collaboration avec d’autres associations féminines dans d’autres pays du Sahel.

C’est lors d’une visite dans un camp de personnes déplacées internes que Tilaine fit la connaissance d’une jeune fille déscolarisée nommée Noura. Elle décide de la recueillir chez elle pour sauver sa scolarité. Très vite, Noura va impressionner tout le monde par sa maturité d’esprit et sa sagesse. Malgré son jeune âge, ses remarques et propositions sont utiles au bon fonctionnement de l’association. Noura a aussi un courage hors norme qui la conduira inéluctablement à une mort en martyr.

Monique Ilboudo pointe du doigt l’irresponsabilité des dirigeants politiques à l’image du bien-nommé Ngomè N’yègué

Dans ce roman, Monique Ilboudo pointe du doigt l’irresponsabilité des dirigeants politiques à l’image du bien-nommé Ngomè N’yègué (côtoyer sa vraie parole, ne pas dire les choses directement). C’est eux, qui par négligence, ont laissé la situation sécuritaire s’aggraver en n’armant pas suffisamment les forces de sécurité malgré les besoins sans cesse exprimés (pp 29-30). C’est encore eux qui s’illustrent très mal dans la gestion du problème humanitaire qui découle des attaques terroristes. « Il est parfois écœurant de voir des responsables politiques se pavaner en philanthropes sur les lieux de leur faillite » (p. 62). Pire, sur un des sites de personnes déplacées, une ministre eut la honteuse idée de conseiller « de ne prendre qu’un seul repas par jour pour économiser les vivres ! Ce serait indécent d’avoir trois repas par jour quand on est déplacé ! Mangeaient-ils d’ailleurs trois fois par jour en temps normal ? » (p. 63).

Pendant ce temps, la situation sécuritaire ne fait que s’empirer avec des attaques terroristes partout dans le pays. Monique Ilboudo en fait dans ce roman, une cartographie très proche de la réalité. C’est le cas de l’attaque en pleine ville à laquelle Farida eut la chance d’échapper « aux chevaliers de l’apocalypse qui cherchaient des survivants dans cet hôtel cible de leur attaque du jour » (p.91). Dans les campagnes, les attaques sont récurrentes dans de nombreuses régions du pays. Une violence aveugle qui frappe « hommes, femmes et enfants sans distinction » et qui s’attaque à « toutes les religions établies » (p.86). Tout cela dans un contexte général de stigmatisation et de risques d’affrontements entre communautés.

Dans un tel chaos, la petite lueur d’espoir vient des femmes à travers leurs organisations associatives nationales

Dans un tel chaos, la petite lueur d’espoir vient des femmes à travers leurs organisations associatives nationales (comme celle que dirige Tilaine) et sous régionales. Ces associations humanitaires s’illustrent positivement dans la prise en charge des victimes du terrorisme. Ainsi, Carrefour des veuves de Monique Ilboudo rend hommage aux femmes (victimes et soutiens des victimes) dans ce contexte sécuritaire difficile. En témoignent les histoires singulières comme celles d’Aïcha et Tilaine (veuves de soldats tombés au front), d’Ada et Bilkiss (veuves et déplacées internes) et surtout de Noura, une jeune fille durement éprouvée par le terrorisme (déscolarisation, orpheline de père puis de mère, perte de son amour). Elle décide alors de poser un ultime acte très courageux et lourd de sens qui fait d’elle une martyre. 

C’est donc une histoire intéressante savamment racontée en 159 pages. Subdivisé en 13 chapitres, ce roman de Monique Ilboudo est écrit dans un style assez réaliste avec de nombreuses références implicites et explicites à l’actualité socio-politique et sécuritaire du Burkina des dix dernières années.

En rappel, Monique Ilboudo est une universitaire et écrivaine burkinabè. Son engagement dans la promotion des droits et de la citoyenneté des femmes est perceptible notamment à travers son livre Droit de cité, être femme au Burkina. Elle est aussi auteure de plusieurs romans comme Le Mal de peau, Murekatete et Si loin de ma vie.

par Antoine Guibla, Professeur certifié des lycées et collèges option Français, Doctorant en Lettres Modernes à l’Université Joseph Ki-Zerbo

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