Au Burkina Faso, une taxe censée capter les plus-values des transactions minières est en place depuis plus d’une décennie. Elle vise les cessions de titres miniers, qui se négocient à coups de milliards de francs CFA. Mais son application semble difficile.
Pourtant, ses recettes auraient pu financer des services publics. Les récentes cessions d’actifs d’Endeavour Mining, notamment celles des mines de Riverstone Karma, Boungou et Wahgnion entre 2022 et 2023, révèlent les difficultés de perception de cette taxe. Mais à qui la faute ?
L’or continue de couler du sous-sol burkinabè, et derrière son éclat, les permis miniers changent souvent de main, brassant des milliards de FCFA. Ces transactions se concluent depuis Londres, les Caraïbes ou l’île Maurice, souvent annoncées par un simple communiqué entre sociétés minières.
À chaque transfert, l’État burkinabè devrait théoriquement percevoir une taxe. Instaurée dans le Code général des impôts (CGI) en 2012, cette taxe sur les cessions de titres miniers a été mieux précisée en 2017. Selon l’expert fiscal Adrien Somda, le CGI définit désormais comme cessions indirectes toutes les cessions de parts sociales d’au moins 10% part une société titulaire d’un titre minier, y compris par fusion, scission ou apport partiel d’actifs. Ces opérations sont imposées à 20 %.
L’article 169 du CGI est clair à cet effet : toute cession d’actions, de parts sociales ou de participation d’au moins 10 % dans une société détentrice d’un titre minier au Burkina Faso, y compris par fusion, scission ou apport partiel d’actif, est considérée comme une cession indirecte. Reste une question essentielle : l’État perçoit-il réellement cette taxe ?
Cession et évasion fiscale
Le 11 mars 2022, Endeavour Mining annonce avoir vendu sa participation de 90 % dans sa mine d’or de Riverstone Karma SA, au nord du Burkina Faso, à Néré Mining, un consortium burkinabè. Le montant de la transaction s’élève à 15 milliards de FCFA, assorti d’une redevance de 2,5 % sur les rendements nets de fonderie.
Mais l’État semble avoir perdu gros. Dans un rapport publié en 2024, portant sur « l’audit de performance sur la mobilisation des droits et taxes issus de l’activité extractive de l’or (période 2017–2022) », la Cour des comptes parle d’un « cas de cession aboutissant à l’évasion fiscale ». Selon ce rapport, la société burkinabè Riverstone Karma SA appartenait à Endeavour Mining, par l’intermédiaire de sa filiale Karma Mining Holding Limited, enregistrée à la Barbade. C’est cette société mère, et non la filiale locale, qui a été vendue à Néré Mining.

Autrement dit, en rachetant la société mère basée à l’étranger, Néré Mining est automatiquement devenue propriétaire de la mine au Burkina Faso, sans qu’aucune taxe ne soit perçue dans le pays. La Cour estime que cette manœuvre a permis à Endeavour Mining d’échapper à l’imposition due sur la cession du permis minier. Si la taxe de 20 % avait été appliquée, l’État aurait pu encaisser environ 3 milliards de FCFA, en plus des droits sur la redevance de 2,5 %.
Selon l’expert fiscal, Adrien Somda, cette pratique n’est pas propre au Burkina. De telles transactions sur les titres miniers sont une pratique courante et acceptée dans l’industrie minière mondiale, et non une spécificité des pays africains, dit-il. Toutefois, il précise que les pays disposant d’une faible tradition minière ou d’un cadre juridique et fiscal peu robuste s’exposent à des risques d’optimisation fiscale et de pertes de recettes.
La Barbade, considérée comme un Etat à fiscalité avantageuse, ne coopérera pas, si le Burkina demande des informations sur la transaction, ajoute-t-il. Les cessions se font généralement à la bourse. Directeur de publication d’Actu Mine Burkina, Elie Kaboré, souligne que parfois la cession des titres miniers porte sur la « maison-mère » détenant plusieurs sociétés minières dans des pays différents.
À qui la faute ?
Selon la Cour des comptes, les règles du Code général des impôts sur les cessions indirectes de titres miniers, comme dans le cas de la mine de Karma, manquent de clarté. Cette faiblesse favorise des pratiques d’optimisation fiscale abusive.
L’audit relève aussi un manque de contrôle du ministère des Mines, qui ne vérifie pas si les contrats de cession sont enregistrés auprès des services fiscaux avant de valider les transferts. Pourtant, le Code minier l’exige. Résultat : une évasion fiscale importante et des flux financiers illicites, selon la Cour.
Deux membres de l’équipe d’audit tempèrent toutefois cette conclusion. Le 18 avril 2025, le conseiller Nefassa Moctar Yankiné indique que la Direction générale des impôts (DGI) aurait requalifié la vente en cession indirecte et engagé un redressement fiscal. Mais il précise : « Nous ne savons pas si les paiements ont été effectués. »
La DGI a-t-elle réellement procédé à ce redressement ? Comment une telle transaction a-t-elle pu lui échapper ? Interrogée, la directrice générale Éliane T. Djiguemdé invoque la confidentialité pour ne pas commenter le dossier.
Les arguments d’Endeavour Mining
Contactée le 24 juin 2025, Néré Mining, nouveau propriétaire de la mine de Karma, n’a pas répondu. Le même jour, une demande a été adressée à Endeavour Mining, ancienne société mère de Riverstone Karma SA. Selon la loi, c’est elle qui devait s’acquitter de la taxe sur la cession.
Le 27 juin, Endeavour Mining affirme avoir respecté toutes les règles en vigueur. Elle précise que les autorités, dont l’administration fiscale, ont confirmé l’absence de plus-value imposable. En clair, la taxe n’a pas été payée, car les services fiscaux ont jugé qu’elle ne s’appliquait pas. Une position que certains spécialistes jugent contestable, estimant que le Code des impôts permet de taxer aussi les cessions indirectes, même réalisées à l’étranger.
Du côté du ministère des Mines, toutes les demandes d’entretien adressées depuis avril 2025 à ce jour à la Direction générale du Cadastre minier sont restées sans suite.

Mais le 30 juin, un communiqué du ministre des mines rappelle que tout transfert ou rachat de titre minier, direct ou indirect, doit être approuvé par l’administration avant toute signature et enregistrement fiscal. Le ministère des Mines menace de sanctions les contrevenants. Une mise au point qui fait écho aux critiques de la Cour des comptes sur la mauvaise maîtrise des cessions de titres miniers.
Cas de cessions absentes des données officielles
L’absence de taxes sur la cession de la mine de Karma soulève des questions sur le suivi des transactions minières par l’administration. Les données officielles du ministère des Mines révèlent plusieurs incohérences.
La vente du permis détenu par Riverstone Karma SA, annoncée publiquement le 11 mars 2022 et évaluée à plusieurs milliards, n’apparaît nulle part dans les statistiques officielles. Pourtant, la mine est désormais exploitée par Néré Mining.
Selon l’Annuaire statistique 2023 du ministère des Mines et le rapport ITIE-Burkina 2022 aucun transfert de Permis d’exploitation industrielle (PEI) n’a été enregistré en 2022. Entre 2017 et 2023, seuls trois transferts de PEI sont recensés, tous en 2020.
Pourquoi, alors, la cession de la mine de Karma, pourtant publique, n’apparaît-elle pas dans les chiffres officiels ? La Direction générale du Cadastre minier n’a pas donné suite à nos demandes de clarification.
Réglementation imprécise
Selon Adrien Somda, expert en fiscalité internationale, toute cession de titre minier doit être autorisée par le ministère des Mines, après enregistrement fiscal du contrat et paiement de la taxe sur la plus-value.
L’article 106 du Code minier de 2015, repris dans la version de 2024, impose en effet l’accord préalable du ministre pour toute cession ou transfert de droits miniers. Mais dans la pratique, ce dispositif est souvent contourné.
Le décret de 2017 précise que la cession d’un permis d’exploitation industrielle (PEI) doit être approuvée en Conseil des ministres, sur proposition du ministre des Mines et après avis de la Commission technique nationale. L’autorisation est formalisée par décret et déclenche le paiement de la taxe correspondante.
Rien de tout cela n’a été respecté dans le cas de la mine de Karma. Selon la Cour des comptes, la transaction a été conclue directement à la Barbade entre les deux sociétés concernées, puis annoncée par communiqué. Un contournement rendu possible par les zones grises de la réglementation, souvent interprétées différemment par les multinationales et les services de l’État.
Pour certaines sociétés, la vente de parts dans une filiale étrangère ne constitue pas une cession de titre minier, mais une simple cession d’entreprise.
Selon Me Bouba Yaguibou, fiscaliste et avocat au barreau du Burkina, ce type de pratique est courant dans le secteur minier. Il estime que, malgré des failles juridiques, l’État dispose tout de même de leviers pour appliquer la taxe sur la plus-value. Mais dans ce cas, l’État doit être attentif au changement d’actionnaires dans la filiale de droit burkinabè.
« Il n’y a pas d’arrêté pris par le ministre des Mines pour consacrer un transfert dans ce cas de figure. La société de droit burkinabè qui détient le permis minier existe toujours. Mais Paul, qui a remplacé Pierre hors du pays, sera obligé, une fois arrivé au Burkina, de modifier les statuts pour se substituer à Pierre », explique-t-il.
Pour lui, un changement d’actionnaires peut être requalifié par les services fiscaux en cession indirecte de titre minier, impliquant une imposition de 20 % sur la plus-value. Si l’administration a indiqué à Endeavour qu’aucune taxe n’était due, cela relève d’une « défaillance administrative », souligne-t-il.
Rachat en bourse
Le cas de la mine de Karma n’est pas isolé. Le journaliste Élie Kaboré, directeur de publication de Mineactu.info, cite un exemple : « Souvent, les rachats se font à la bourse. Avant, la mine d’or de Bagassi était exploitée par Roxgold SA, une société burkinabè. Puis, la société Fortuna a racheté Roxgold, la maison mère. Le rachat a porté sur tous ses actifs. Dans ces cas-là, les autorités ne sont même pas informées. Et quand elles le sont, les sociétés affirment qu’il ne s’agit pas d’une cession de permis minier, mais d’une acquisition d’entreprise. »
Il ajoute qu’un autre procédé courant consiste à fusionner la société mère avec une nouvelle entité, tout en laissant inchangée la filiale burkinabè sur le papier.
Pour l’expert fiscal Adrien Somda, ces montages ne devraient pourtant pas empêcher l’État d’agir. Selon lui, les textes en vigueur donnent à l’administration tous les moyens juridiques pour percevoir la taxe, même dans les situations complexes évoquées par la Cour des comptes.

Le 30 juin 2023, Endeavour Mining annonce la vente de 90 % de ses participations dans les mines de Boungou et Wahgnion au profit de Lilium Mining, filiale de Lilium Capital, un groupe d’investissement ouest-africain dirigé par un Burkinabè. La transaction est estimée à plus de 300 millions de dollars (environ 180 milliards de FCFA), répartis entre paiements immédiats, différés et redevances.
Si la taxe de 20 % sur les plus-values avait été appliquée, l’État aurait pu percevoir environ 36 milliards de FCFA. Mais, comme pour la mine Riverstone Karma en 2022, la taxe n’a pas été payée. La représentation de la multinationale au Burkina confirme que les services fiscaux ont conclu qu’« aucune plus-value imposable n’était due ».
Ces deux cessions n’apparaissent pas dans les statistiques officielles du ministère des Mines.
Entre flou juridique, manque de coordination entre administrations et stratégies d’optimisation des multinationales, la taxe reste difficile à appliquer.
Par Lomoussa BAZOUN, avec le soutien de la CENOZO




