L’Etat burkinabè doit 489,69 milliards de FCFA à la Société nationale burkinabè des hydrocarbures (SONABHY). Et cette société d’Etat doit à son tour 149,81 milliards de F CFA à ses fournisseurs (montant des factures impayées), à la date du 27 décembre 2022. C’est ce qu’on peut lire dans le compte rendu du Conseil des ministres du 11 janvier 2023. La société est donc endettée jusqu’au coup. Les prix des produits pétroliers à la pompe ont grimpé. Mais les coulisses de la gestion de cette société d’Etat révèlent un modèle de gouvernance contraire à sa situation financière. Des avantages mirobolants sont accordés au personnel, révèlent des rapports d’audit commandités par l’Autorité supérieure de Contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC) dont www.sirainfo.com a obtenu copies. Les rapports définitifs datent d’août 2023. (Acte 1)
2 mars 2022, le « tombeur » de l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré, le Lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, lance une vaste série d’audits des ministères et institutions de la République. Celui de la SONABHY se justifiait par les contre-performances de cette société mentionnées dans le rapport de performance des sociétés d’Etat, exercice 2020, notamment « une forte baisse de son volume d’activité ; une baisse de 6% de son chiffre d’affaires ; un ratio de la rentabilité financière qui est passé de 30,08% en 2019 à 22,17% en 2020 ; une baisse en 2020 de la valeur ajoutée, de l’excédent brut d’exploitation et du résultat d’exploitation respectivement de 14,592 milliards, de 15,187 milliards et 15,991 milliards et une augmentation des autres charges diverses ».
Le fonds commun des agents du ministère des finances, les salaires dans la magistrature, etc. ont défrayé la chronique. Cette fois, un rapport d’audit organisationnel de la SONABHY concernant les années 2020, 2021 et 2022 révèle que le personnel de cette société, s’il n’est pas comblé ou « gâté », fait partie des privilégiés de la République, dans un contexte où « l’effort de paix ou de guerre » est sur toutes les lèvres.
Les auditeurs ont d’abord mis le curseur sur les charges du personnel de ces trois années. En 2020, les charges du personnel s’élèvent à 6 428 257 819 FCFA. En 2021, 6 943 686 368 FCFA et 2022, 6 643 104 414 FCFA, soit 19%, 21% et 11% du total des charges de la société. La société comptait en 2020, 346 salariés et 341 en 2021, selon le rapport de la 30e session de l’Assemblée générale des sociétés d’Etat. Mais le rapport met déjà en garde. Les charges de personnel prennent en compte certaines primes et il les liste : primes de bilan, primes de motivation, les congés payés, et les dotations en carburant et en gaz. Ce sont des « charges à surveiller ».
5 mois de salaires chacun comme prime sur les bénéfices de la société
Tenez ! Les primes de bilan octroyées au personnel en 2020 représentent 18%, 20% en 2021 et 13% en 2022 des charges totales du personnel soient respectivement 1 142 759 795 FCFA, 1 397 646 876 FCFA et 843 844 463 FCFA. Soit un total de 3 384 251 134 de primes de bilan octroyées au cours des trois années concernées.
Ces charges ont accru de 22% en 2020 et 2021. Et cela a bien une explication. Les auditeurs pointent du doigt une décision du Conseil d’administration. Selon cette décision, à chaque fin d’année, chaque travailleur de la SONABHY a droit à une prime de bilan sur les bénéfices de la société. Et les administrateurs ont estimé que cette prime doit valoir presqu’une demi année de salaires cumulés. Morceau choisi par le rapport : « Cette situation s’explique par des décisions du Conseil d’administration d’accorder au personnel de la société, des primes de bilan équivalant à 5 mois de salaire net en guise d’encouragement et de motivation vu les résultats bénéficiaires dégagés ». Une grande partie des bénéfices de cette société d’Etat vont directement dans les poches des travailleurs. Et les auditeurs martèlent, sans sourciller : « cela a contribué à la détérioration de la trésorerie surtout en 2022 ».
Selon les explications des auditeurs, la prime de bilan est prévue par l’article 40 du statut du personnel mais elle n’est pas plafonnée. Ainsi, les responsables en font à leur guise, puisqu’eux-mêmes en sont bénéficiaires, renforçant les difficultés financières de la société. Mais selon les responsables actuels de la SONABHY, les causes des problèmes de trésorerie sont ailleurs : « la trésorerie négative de la société ne s’explique pas par une contreperformance de la société mais plutôt aux impayés de dette de l’Etat envers la société ». Et ce n’est pas tout !
Dotation du personnel en carburant et gaz : 2 128 246 491 FCFA en trois ans
En plus des primes sur les bénéfices de la société, le personnel de la nationale des hydrocarbures bénéficie aussi des dotations mensuelles en carburant et gaz. Les charges générées par ces dotations en 2020 s’élèvent à 768 994 740 FCFA. En 2021, elles sont de 661 962 771 FCFA et 697 288 980 FCFA en 2022. Soit respectivement 12%, 10% et 10% des charges de personnel au cours de ces années. Le montant total des trois années affiche 2 128 246 491 FCFA. Ces dotations sont prévues par le statut du personnel, selon le rapport, mais l’article ne prévoit pas « des limitations en matière de carburant ». La SONABHY conteste. Selon elle, les montants indiqués ne concernent pas les dotations en carburant et gaz mais plutôt des indemnités de logement, de transport, de fonction, etc. Mais cela n’a visiblement pas convaincu les auditeurs qui ont gardé les montants dans le rapport.
198 502 633 FCFA de primes de motivation sans base réglementaire
La SONABHY a octroyé des primes de motivation au personnel. En 2020, elles s’élèvent à 170 076 367 FCFA et 28 426 266 FCFA en 2022. « Cette prime n’est pas prévue par les statuts. Toutefois, la note de service prise à cet effet par le Directeur général fait ressortir un montant de 140 886 111 FCFA de primes de motivation (qualité) pour 2020, d’où un écart de 29 190 256 FCFA à justifier », souligne le rapport. Au moment de l’audit, une note de service en date du 6 juillet 2023, a supprimé cette prime.
La SONAHBY précise que les 28 millions de 2022 ne sont pas des primes de motivation mais concernent la régularisation d’agents titulaires de Contrats à durée déterminée qui ont été intégrés en qualité de Contrats à durée indéterminée.
Evacuation sanitaire du personnel assurée 100% par la SONABHY
En plus de ces primes, la SONABHY se soucie aussi de la santé de son personnel. Quoi de plus normal. Et pas que… Sa famille aussi est prise en compte. Elle leur offre gracieusement des soins médicaux. Voici les détails : « Soins médicaux pour le salarié et sa famille (prise en charge à hauteur de 80% des montants des soins pour le salarié et à hauteur d’un montant annuel fixe de 500 000 FCFA pour sa famille) et d’une évacuation sanitaire à 100% ».
4 021 990 500 d’indemnités de fin de carrière payés à 26 salariés
Les auditeurs ont fait le point des indemnités de fin de carrière (IFC) payés aux salariés ayant atteint l’âge légal de départ à la retraite. En 2020, 11 salariés sont admis à la retraite. La SONABHY leur a payé au total 1 497 127 229 FCFA comme indemnités de fin de carrière, dont 321 491 298 sont revenus à un seul salarié qui est entré à la SONABHY en 1984. En 2021, le nombre a diminué. Ils étaient 6 à se partager 1 248 044 278 FCFA. Le plus gros montant (583 809 483 FCFA) est revenu à un salarié dont l’embauche date de 1986. Enfin, 9 agents admis à la retraite en 2022 ont bénéficié d’une indemnité de fin de carrière d’un total de 1 276 818 993 FCFA dont le plus gros montant payé à l’un d’eux est 210 905 802 FCFA.
Selon le rapport, il y a des entorses à la réglementation sur certains aspects du modèle de calcul. « La détermination du salaire de référence n’est pas conforme aux dispositions prévues dans le contrat d’assurance… Aucune disposition du contrat ne prévoit une côte part ». Les auditeurs ont repris les calculs, sur la base des critères de la SONABHY, et se sont rendus compte qu’il y a un trop perçu de 510 002 558 FCFA concernant la période 2020 à mars 2021. Par exemple, l’agent qui avait bénéficié de 321 497 311 FCFA au départ, ne devrait bénéficier que de 199 826 541 FCFA. Soit un écart de plus de 121 millions FCFA.
Mais ce n’est pas tout. Les auditeurs ont voulu savoir comment cette indemnité est calculée dans 5 autres sociétés d’Etat d’importance similaire, dont la SONABEL, la CNSS, la LONAB. L’analyse comparative fait ressortir que « la SONABHY octroie les indemnités de fin de carrière les plus favorables malgré sa situation financière difficile ». Et ce n’est pas fini.
La multiplication inopportune des directions et services épuisent les finances
Un autre point de l’organigramme de la SONABHY fait perdre des millions par an. Le rapport révèle que sur la période 2020-2022, 53 nominations ont été effectuées au sein de la société. L’année 2022 a elle seule connu 29 nominations. Selon le rapport, c’est le Conseil d’administration qui en est responsable. Le 9 septembre 2022, sous le MPSR 1, un nouvel organigramme a été validé. Celui-ci a fait passer le nombre de directions de 11 à 18, soit une augmentation de 64% et les services de 44 à 55 soit une augmentation de 25%. « L’impact financier est estimé à environ 16 millions de FCFA par mois soit 192 millions par an. Les auditeurs disent n’avoir vu aucune étude diagnostique qui a permis de valider cet organigramme. « La multiplication des directions et services sans étude préalable n’est pas opportune vu la situation financière actuelle de la société ». Pire, certains agents promus à ces postes de direction « ont des profils qui ne sont pas adaptés », selon le rapport. Par exemple, le « chef du service audit interne a une Licence en communication et marketing ». Le Directeur commercial aussi n’est pas un spécialiste du domaine. Y compris le directeur de l’approvisionnement et des stocks, le directeur de la qualité, hygiène, sécurité et environnemental ». (SONABHY : acte 2 à suivre !)
Lomoussa BAZOUN