Exclusif. 29 décembre. En plein procès, l’Etat et la société IAM Gold Essakane coupent l’herbe sous les pieds de la Justice. Un accord transactionnel est trouvé entre les deux entités. Au journal du 20 h de la RTB, le ministre en charge des mines, Yacouba Zabré Gouba fait l’annonce. « La société IAM Gold Essakane a sollicité et obtenu du gouvernement ce mode de règlement des différends. (…) La transaction a abouti d’abord à la signature d’un protocole entre la société Essakane SA et l’Etat burkinabè. Cette transaction permet à l’Etat d’avoir l’abandon de la cargaison pour l’Etat et le paiement d’une amende d’un montant de 9 milliards de FCFA.», explique le ministre Gouba. Sira info a obtenu copie du procès-verbal de transaction. Que dit-il exactement ?
Dans l’article premier, les deux parties font le point de la situation : « conformément aux pièces du dossier, il est établi des irrégularités justifiant les poursuites judiciaires en cours devant la chambre de jugement du pôle judiciaire spécialisé du Tribunal de grande instance de Ouaga I en application de la loi n°028 (…) portant organisation de la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses au Burkina Faso ».
La société IAMGold Essakane qui a toujours juré n’avoir commis aucune infraction dans cette affaire, et défendue par certains acteurs au niveau national, certainement dos au mur, en vient aux aveux. Dans l’article 2 du procès-verbal de transaction, cet aveu est bien lisible : « La société IAMGOLD Essakane reconnait les irrégularités visées à l’article 1 ». Elle reconnait donc les faits de fraudes qui lui sont reprochés, sans lesquels, il n’y a pas de transaction possible. Et elle a eu recours aux articles 58 et 59 de la loi 028 portant sur la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses qui permettent ainsi la voie du règlement à l’amiable.
« Après examen de l’affaire et en application des dispositions des articles 34 et suivants de la loi n°028 portant organisation de la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses et de l’article 2 de l’arrêté n°2020-166 du 14 juillet 2020, portant délégation de pouvoir en matière de transaction, il a été retenu l’abandon au profit de l’Etat du Burkina Faso de l’entièreté de la cargaison placée sous-main de justice, corps solides y compris, objet des containers et cantines dont les références figurent dans l’Etat annexé aux présentes et, du versement en sus de la somme globale, FORFAITAIRE et définitive de neuf milliards (9 000 000 000 ) FCFA à titre d’amende. »
Et pour se sortir d’affaire, IAMGOLD Essakane a accepté de payer presque toute l’amende dès la signature de l’accord : plus de 77% de l’amende payé à la signature. Selon le Procès-verbal, l’amende de 9 milliards FCFA, est payable en deux tranches : « Sept milliards (7 000 000 000) FCFA à la signature des présentes et deux milliards (2 000 000 000 ) FCFA au plus tard le jeudi 29 février 2024 ».
Le paiement des sommes indiquées, selon le PV, se fera par virement bancaire au moment de la signature, sur le compte « Règlement du trésor/Star-UEMOA » ouvert à la BCEAO-Burkina.
La Transaction de 9 milliards FCFA concerne les exportations irrégulières de charbon fin de 2015, 2016 et le cas de 2018 qui a fait éclater l’affaire.
La transaction a donc éteint l’action publique et met « définitivement fin aux poursuites ». « Aucune autre procédure amiable ou contentieuse ne peut être sollicitée, engagée ou reprise par l’une des parties en raison des infractions constatées, des droits et des pénalités dus. En conséquence, IAMGOLD Essakane SA et l’Etat du Burkina renoncent l’une envers l’autre à toute action ou réclamation de quelle que nature que ce soit en lien avec les trois exportations de charbon fin des années 2015, 2016 et 2018, notamment et sans être exclusif, l’Etat du Burkina s’engage à mettre fin aux poursuites actuellement engagées devant la chambre de jugement du pôle judiciaire spécialisé de TGI Ouaga I contre IAMGOLD Essakane Sa et ses employés s’agissant de toutes les infractions qui leur sont reprochées dans les citations, et plus généralement de toute infraction quelle qu’elle soit qui pourrait leur être reprochée en lien avec les expéditions de charbon fin des périodes 2015, 2016 et 2018. », détaille l’article 6 du procès-verbal. Mais la valeur des substances minérales contenues dans toutes ces cargaisons n’a pas été précisée. Or, c’est sur la base de la valeur des objets de fraude que l’amende est fixée.
Les deux parties s’engagent à ne pas se dénigrer dans les médias
Les deux parties renoncent aussi de poser tout acte et d’exercer ou de faire exercer toute voie de recours tendant à la remise en cause de la validité de l’accord.
Une autre disposition de cet accord capte vite l’attention. Elle est liée au volet communication sur l’affaire. Les deux parties ont voulu expressément se protéger dans les médias. C’est l’article 11 qui en parle : « Les parties s’engagent, dans leurs communications médiatiques sur cette affaire à préserver leurs images réciproques en évitant tout dénigrement et à privilégier l’intérêt supérieur de l’Etat du Burkina Faso et de la société IAMGOLD Essakane SA. »
Selon la transaction, l’Etat prend en charge les avocats qu’il a engagés dans la procédure judiciaire de l’affaire.
S’il arrive que IAMGOLD Essakane ne respecte pas ses obligations, « le montant dû fait l’objet d’exécution forcée » par l’Etat. IAMGOLD Essakane a reconnu les faits qui lui sont reprochés et qui ont conduit l’Etat à engager des avocats pour défendre ses intérêts en justice. Mais dans le PV de transaction, c’est l’Etat qui doit payer ses avocats. « Chaque partie conservera à sa charge les frais (notamment judiciaire ou de conseils) qu’elle a engagés dans le cadre des poursuites ou pour la conclusion du présent accord transactionnel », indique l’article 13 du procès-verbal daté du 26 décembre et qui porte les signatures du ministre chargé des mines, Yacouba Zabré Gouba et du DG de IAMGOLD Essakane Tidiane Barry.
Par Lomoussa BAZOUN, Sira info
Encadré
Les intérêts de l’Etat ont-ils été protégés ?
Selon certains spécialistes, il est difficile de savoir si les intérêts de l’Etat ont été protégés. Normalement, les deux parties devaient évaluer les valeurs des différentes expéditions à savoir celles de 2015, 2016 et 2018. Et c’est sur la base de leurs valeurs que les amendes sont fixées. Mais l’accord transactionnel évoque un montant forfaitaire et le retrait des cargaisons de 2018. Cependant, rien n’est dit sur les cargaisons déjà sorties en 2015 et 2016. Selon l’article 34 de la loi visée dans l’accord de transaction, « Est puni d’une amende égale au double de la valeur de l’or ou des autres substances précieuses non enregistrés, tout exploitant artisanal ou industriel, tout comptoir d’achat qui ne tient pas à son siège ou dans ses centres d’achat, des registres de production, d’achat, de vente ou d’exportation ou qui n’établit pas de bordereaux pour ses opérations. » L’article suivant (35) précise : « Est passible de la confiscation de l’objet de fraude, des moyens de transport et des objets servant à masquer la fraude, d’une amende égale au double de la valeur de l’objet de fraude et/ou d’un emprisonnement de trois mois à un an, tout fait de fraude à la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses. Sont passibles des confiscations et amendes prévues à l’alinéa ci-dessus et/ou d’un emprisonnement de six mois à deux ans, les délits de fraude à la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses commis en réunion. Est passible de la confiscation de l’objet de fraude, de la confiscation des moyens de transport, de la confiscation des objets servant à masquer la fraude, d’une amende égale au quadruple de la valeur des objets confisqués et d’un emprisonnement d’un an à cinq ans, le délit de fraude à la commercialisation de l’or et des autres substances précieuses commis en réunion par quelque moyen de transport que ce soit. »
LB