« Terre ceinte » du Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr : Une résistance intellectuelle face au terrorisme par la littérature

Savez-vous à quoi ressemble une ville contrôlée et dirigée par des terroristes islamistes ? Comment souffrent les habitants d’une telle ville ? C’est ce que tente de nous faire comprendre Mohamed Mbougar Sarr à travers son roman dont le titre (bien à propos) est Terre ceinte. En effet, la province du Bandiani située au nord de la république imaginaire du Sumal est tombée sous le contrôle des terroristes qui y règnent désormais en maîtres. Fermeture des écoles, interdiction de mener certaines activités, exécutions sommaires et publiques par lapidation ou fusillade, destructions de biens culturels inscrits au patrimoine mondial de l’humanité… La liste des supplices et traumatismes que subissent les habitants de Kalep, Bandika, Soro et Akanté dans cette province est longue. Mais quelques habitants courageux ont décidé d’agir contre cette barbarie.

L’histoire se déroule dans un pays africain imaginaire appelé le Sumal dont l’armée n’a pas réussi à contrer l’avancée des terroristes. En effet, « inférieure par le nombre, inférieure en équipement, dominée tactiquement… » (p.183), la division militaire envoyée au nord du pays a vite été dépassée par la puissance de feu des terroristes regroupés autour d’une organisation (la Fraternité). Cette débâcle de l’armée a eu pour conséquence directe la partition de fait du pays «coupé en deux, entre un Nord islamiste et un Centre et un Sud encore libres » (p.185). Pourtant, la province du Bandiani au nord du Sumal est très riche et sa position hautement stratégique. En l’arrachant aux mains de l’armée, les terroristes contrôlaient « la frontière du Nord, la route du désert et donc (facilitaient) le ravitaillement des troupes, leur entrainement, leur enrichissement. » (p.96).

Le calvaire de la population civile

Les habitants des localités dans cette partie du pays vivent donc sous l’administration de la Fraternité qui dicte sa loi funeste. Une loi qui ferme les écoles et certaines activités socio-économiques et culturelles. Une loi qui condamne ceux qui sont considérés fautifs à des mutilations de membres (bras ou pieds coupés). D’autres sont condamnés à une mort publique par lapidation ou par fusillade. Ce fut le cas, au début du roman, de deux jeunes (Lamine et Aïda) accusés d’avoir eu une liaison hors mariage. Ils ont été exécutés publiquement. Ce malheur a rapproché les mères des amoureux suppliciés (Aissata, mère de la fille et Sadobo, mère du garçon) qui s’échangent régulièrement des lettres. Dans leurs correspondances (8 au total), elles expriment leur douleur, se soutiennent mutuellement, et surtout, se posent de nombreuses questions sur le genre humain, ses actes et sa relation avec Dieu. 

Un journal clandestin pour conscientiser

C’est dans ce climat de violence sauvage et de terreur généralisée que quelques habitants, animés d’un courage exceptionnel, ont décidé de lancer un journal. C’est un journal clandestin (le Rambaj) pour dénoncer cette barbarie et contrer l’expansion de l’idéologie extrémiste au sein de la population. Déposés clandestinement sur les places publiques des différentes villes de la province, de nombreux exemplaires de ce journal ont circulé et ont produit des effets controversés. Apprécié par une bonne partie de la population, le contenu du journal irrite au plus haut point le chef de la Police terroriste qui a juré de retrouver ses auteurs. Recherches, interrogatoires et fouilles à domicile sont menés dans une tension extrême. Dans leur furie, les obscurantistes n’ont pas hésité à brûler la Bibliothèque nationale de Bantika. C’est un joyau culturel immense inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. Ce dernier acte permit d’arrêter deux des auteurs du journal. Mais l’insurrection courageuse et spontanée de la population lors de leur exécution publique ainsi que les conséquences qui ont suivi permettent de comprendre toute leur soif de liberté et de dignité.

Aussi, en lisant ce roman de 258 pages, paru aux éditions Présence africaine en 2014, le grand niveau de culture de l’auteur ne passe pas inaperçu.

Mohamed Mbougar Sarr nous offre un roman qui aborde courageusement des questions sensibles et d’actualité. C’est le cas entre autres, du lent et insidieux processus de radicalisation des jeunes (à l’image d’Ismaïla), de l’application de la charia comme mode de gouvernance (dans les zones sous contrôle terroriste), de la faiblesse des Etats face au terrorisme. Tout cela dans une tonalité pathétique omniprésente dans le roman. En effet les nombreuses, longues et sérieuses descriptions des scènes et des personnages émeuvent le lecteur parfois jusqu’aux larmes. Aussi, en lisant ce roman de 258 pages, paru aux éditions Présence africaine en 2014, le grand niveau de culture de l’auteur ne passe pas inaperçu. En témoignent les nombreuses références aux livres saints, à des auteurs de renom comme Victor Hugo ou encore Heinrich Heine et à de grands événements en Afrique de l’ouest.

L’événement de référence le plus évident reste, sans conteste, la destruction par les terroristes des célèbres manuscrits de Tombouctou au Mali en 2013. C’est donc un roman d’une grande qualité qui a d’ailleurs remporté de nombreuses distinctions, notamment le prix Ahmadou-Kourouma au salon du livre à Genève en 2015, puis le grand prix du roman métis de Saint-Denis-de-la-Réunion et le prix du roman métis des lycéens la même année.

Mohamed Mbougar Sarr est un jeune sénégalais. Il est le premier écrivain d’origine subsaharienne depuis 1921 et également le plus jeune lauréat depuis 1976 à remporter le prix Goncourt en 2021 avec son roman La plus secrète mémoire des hommes. Il est également auteur d’autres œuvres littéraires dont Silence du chœur et De purs hommes.

Par Antoine GUIBLA, Professeur certifié des lycées et collèges option Français, Doctorant en Lettres Modernes à l’université Joseph KI-ZERBO

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