Caisses populaires du Burkina : un contentieux de 2,3 milliards FCFA secoue la gouvernance du réseau

Un dossier vieux de plus de dix ans est aujourd’hui au cœur de toutes les attentions au sein du Réseau des Caisses Populaires du Burkina. À l’origine : un contentieux opposant la Caisse populaire de Song-Taaba à un client, Eugène Isidore Kaboré. Condamnée à verser 2,3 milliards FCFA, l’institution fait face à des tensions internes et à une gouvernance mise à l’épreuve. Un dossier désormais suivi de près par le ministère des Finances, à travers la Direction générale du Trésor et de la Comptabilité publique.

Les relations entre clients et banquiers débutent souvent sous les meilleurs auspices : un sourire, une poignée de main, la promesse d’une collaboration durable. Avec le temps, la confiance s’installe. Jusqu’au jour où elle se fissure.

C’est le cas aujourd’hui entre le Réseau des Caisses Populaires du Burkina (RCPB) et l’un de ses clients, un conflit dont les origines remontent à 2014 et qui continue de susciter tensions et incompréhensions au sein de l’une des principales institutions de microfinance du pays.

L’affaire trouve sa source en 2006, lorsque la Caisse populaire de Song-Taaba, à Ouagadougou, ouvre un compte intitulé Africanet LD au nom d’Eugène Isidore Kaboré, à l’initiative d’Emma Kaboré,selon un rapport de la Directrice de la Caisse. Deux ans plus tard, Emma Kaboré crée un second compte pour lui-même, Africanet SARL. Les deux comptes servent de base à des financements pour l’exécution de marchés publics.

En 2009, Africanet SARL obtient un crédit de 55 millions FCFA. Mais le remboursement tarde. Or, le compte Africanet LD disposait de fonds suffisants. Les responsables de la Caisse décident alors de transférer ces fonds pour solder la dette, sans autorisation préalable. Une décision qui déclenche la colère d’Eugène Isidore Kaboré, propriétaire du compte débité. Le désaccord financier devient rapidement un dossier judiciaire.

Le 9 avril 2014 marque le début d’un long feuilleton judiciaire entre Eugène Isidore Kaboré, propriétaire d’Africanet LD, et la Caisse populaire de Song-Taaba. Ce jour-là, il saisit le Tribunal du commerce de Ouagadougou, accusant la Caisse d’avoir transféré des fonds sans autorisation et d’avoir effectué des opérations injustifiées. Il réclame plus de 1,4 milliard FCFA en réparation.

En riposte, la Caisse dépose à son tour une plainte pour faux, usage de faux et tentative d’escroquerie visant Emma Kaboré et d’autres personnes, selon la Directrice de la Caisse.

Le dossier s’enlise. Pendant des années, les audiences se succèdent sans aboutir. Ce n’est que le 27 août 2021 que le Tribunal du commerce tranche : la plainte d’Eugène Isidore Kaboré est jugée irrecevable pour « défaut de qualité ».

L’affaire rebondit en appel. Le 22 mars 2024, la Cour d’appel de Ouagadougou renverse la décision et condamne la Caisse à verser 957 millions FCFA à Eugène Isidore Kaboré, avec intérêts à compter de 2014.

La décision provoque un séisme interne. Les avocats du plaignant mandatent aussitôt un huissier pour exécuter la décision : 2,3 milliards FCFA sont visés en saisie sur les comptes de la Faîtière des Caisses Populaires du Burkina.

418,9 millions FCFA pour tenter de sauver les meubles

Face à la décision défavorable de la Cour d’appel, la direction du Réseau des Caisses Populaires du Burkina se lance dans une course contre la montre.

La direction de la caisse populaire de Song-taaba et la direction générale de la Faîtière cherchent à obtenir un sursis à exécution et à former un pourvoi en cassation. Deux contrats d’honoraires, pour un montant total de 418,9 millions FCFA, ont été signés avec les avocats en charge du dossier, selon les documents consultés.

Le premier, daté du 23 mai 2024, prévoit 118 millions FCFA pour les démarches liées au pourvoi et au sursis à exécution. Il est signé entre la Directrice de la caisse de Song-Taaba et les avocats.

Le second contrat, signé le 13 janvier 2025, porte sur 300,9 millions FCFA, incluant les frais de procédure et une clause de résultat. Il est signé entre la Direction de la faitière et les avocats.

La Cour de cassation tranche : la Caisse doit payer

La Caisse a obtenu un sursis à exécution contre la saisie-attribution sur ses comptes bancaires, mais cette victoire procédurale n’a pas changé le fond de l’affaire. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Ouagadougou le 12 juin 2025 : la Caisse doit verser 2,3 milliards FCFA à Eugène Isidore Kaboré, mettant fin à un contentieux vieux de plus de dix ans.

En ajoutant les 418,9 millions FCFA d’honoraires d’avocats, la facture totale atteint 2,81 milliards FCFA, un montant qui pèse lourdement sur les finances de l’institution.

Selon nos sources, des tensions ont éclaté entre la direction de la Caisse de Song-Taaba et son conseil d’administration. Dans une lettre du 16 juin 2025, le PCA de la Caisse de Song-Taaba, Noé Nana, réclame un rapport détaillé sur le dossier, affirmant avoir découvert l’ampleur du contentieux seulement au troisième trimestre 2024, des mois après la décision de la Cour d’appel.

« Plusieurs relances ont été faites auprès de vous pour rencontrer les avocats en charge de l’affaire, mais sans succès », déplore-t-il. Quatre jours plus tard, la directrice Jeannette Gandema/Oubda transmet un rapport retraçant l’historique du litige.

Interrogé, le PCA de la caisse de Song-taaba nous répond le 7 octobre et indique n’avoir jamais été associé à la gestion du dossier, pilotée par « la Faîtière des Caisses Populaires du Burkina ». La directrice de Song-Taaba et la directrice générale de la Faîtière, Azaratou Sondo/Nignan, contactées, n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Les demandes auprès du président du conseil de la Faîtière, Adama Kaboré, sont restées sans réponse. Le PCA de la Faitière est tombé de plein pieds dans ce dossier. Il a, en effet, pris officiellement fonction le 31 juillet 2025.  

Le Trésor public s’inquiète du bilan financier déficitaire

Le dossier Africanet LD continue d’avoir des répercussions. La Direction générale du Trésor et de la Comptabilité publique s’en est saisie après le dépôt des états financiers de l’exercice 2024. Selon un rapport interne, la Caisse populaire de Song-Taaba a provisionné la moitié de la condamnation judiciaire : 1,208 milliard FCFA.

Dans une lettre datée du 7 juillet 2025, le directeur général du Trésor, Bruno R. Bamouni, demande au PCA de la Caisse de Song-Taaba des explications urgentes sur la situation financière de l’institution. Il pointe plusieurs insuffisances : le ratio « prêts aux dirigeants, au personnel et aux personnes liées » atteint 21,08 %, soit plus du double du plafond réglementaire, et le ratio de limitation des risques sur une seule signature dépasse également la norme à 13,63 %.

Le Trésor s’alarme surtout du déficit financier de 1,588 milliard FCFA enregistré en 2024, conséquence d’une hausse des charges : rémunérations d’intermédiaires et honoraires (421,5 millions), autres charges d’exploitation (445,06 millions) et dotations aux provisions pour dépréciation d’actifs (1,239 milliard). Le DG du trésor évoque aussi, dans sa correspondance, une facture de 300,9 millions FCFA « non justifiée ». “Cette contre-performance réduit considérablement le niveau des fonds propres de l’institution et pourrait compromettre sa viabilité si des dispositions ne sont pas prises à temps“, alerte le trésor public.

La direction générale du Trésor demande au PCA de justifier le déficit, de respecter les ratios prudentiels et de fournir des explications détaillées sur la facture contestée, traduisant la préoccupation des autorités financières. Les pertes, désormais chiffrées en milliards, alimentent les interrogations sur les responsabilités.

Au sein du réseau, les réunions se multiplient entre la Faîtière, les conseils d’administration et d’anciens responsables, mais les acteurs se renvoient la responsabilité. Le conseil d’administration de Song-Taaba dit n’avoir pas été impliqué et réclame à sa directrice, Jeannette Gandema/Oubda, l’ensemble des documents sur le dossier : décisions de justice, pièces justificatives, rôles des personnes impliquées. De son côté, la directrice soutient que le pilotage du contentieux relevait de la direction générale de la Faîtière.

Mais selon une note du PCA de la Faîtière, adressée au DG du Trésor public, datée du 14 août 2025, les discussions internes se concentrent sur une question clé : qui doit payer les 2,3 milliards FCFA, la Caisse de Song-Taaba ou la Faîtière ? La note précise que des mesures ont été prises pour un partage « équitable et solidaire » et que toutes les parties cherchent à résoudre la situation « en toute responsabilité et sans bruit ».

Un PCA démissionne

Le 16 septembre 2025, la Faîtière des Caisses Populaires du Burkina (FCPB) organise une réunion pour informer tous les présidents de conseils d’administration (PCA) des caisses du pays. Plutôt que de rassurer, la rencontre provoque un malaise. Certains PCA s’inquiètent des répercussions sur leur image et leur responsabilité.

Un PCA, membre du réseau depuis 1998, démissionne le 22 septembre 2025, estimant que les explications fournies par la FCPB « laissent à désirer » et l’obligent à « prendre ses responsabilités ».

Entre manque de communication, pertes financières et tensions internes, la gouvernance du réseau traverse une période difficile.

Par Lomoussa BAZOUN, Sira Info

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