Sites miniers artisanaux : Environ 500 kg d’or déclarés sur une quantité de 9 tonnes par an

« Extrémisme violent et criminalité organisée : la nécessité d’investiguer. » C’est l’un des thèmes débattu lors d’un panel en marge de la 10e édition du Festival international de la liberté de la presse (FILEP). Un aspect de cette thématique a concerné les sites miniers d’exploitation artisanale et leurs liens avec les réseaux criminels. Le coordinateur de l’Alliance pour une Mine responsable (ARM), le Burkinabè Désiré Nikiéma, a expliqué les différentes formes d’approche des groupes armés pour avoir la mainmise sur le secteur. Des centaines de populations civiles sont assassinées dans la sous-région parce qu’elles ont refusé de se soumettre à leurs diktats. Et des tonnes d’or sortent du territoire grâce aux activités illicites.   

L’or est dans le viseur de plusieurs groupes terroristes dans la sous-région. Et ils ont plusieurs approches. Ces approches changent en fonction des zones où ils opèrent. Au Burkina, l’activité minière artisanale existe dans toutes les régions sauf celle du Centre. Elle génère d’énormes ressources qui échappent presque totalement à l’Etat, en termes de taxes. Selon le coordinateur de l’Alliance pour une mine responsable (ARM), l’or issu de la production artisanale est évalué à 9 tonnes par an au Burkina. Mais seulement environ 200 à 500 kilogrammes sont déclarés officiellement. Le reste s’évanouie dans les réseaux illicites. En termes monétaire, la valeur de l’or qui sort de façon illicite du territoire est estimée à entre 200 et 300 milliards de FCFA par an, souligne le panéliste.

Les groupes armés et les sites d’exploitation artisanale

Quand certains groupes armés arrivent dans une zone, ils ne cherchent pas à soumettre les exploitants miniers à leur volonté. Mais d’autres ont l’or comme véritable cible. Et dès leur arrivée dans une zone, ils mettent la main sur l’activité minière. « Ils déguerpissent tout le monde. Artisans miniers, populations civiles, etc. Ils ne veulent voir personne dans la zone. », dit-il.

Et puis, il y a un troisième groupe : « Quand ce groupe arrive dans une zone, il cherche à avoir des contacts avec des sites miniers artisanaux. »

Certains artisans miniers font le jeu de ces groupes.  Ainsi, ces acteurs font de l’arrivée des groupes armés dans leur zone, une opportunité et cherchent à tisser des liens étroits avec eux pour continuer leurs activités. « Ils vont eux-mêmes faire des propositions aux groupes armés terroristes. Par exemple, ils peuvent dire qu’ils ont un site artisanal ici. Et qu’ils peuvent faire du business ensemble. Ils deviennent ainsi les représentants des réseaux criminels sur les sites. Et ces acteurs, avec la bénédiction des groupes armés, vont instaurer des lois sur les sites et deviennent les hommes forts des lieux. Et quand ils se sentent en danger, il leur suffit d’alerter leurs contacts dans les réseaux criminels qui vont leur prêter main forte », détaille-t-il.

Solhan « puni » par les terroristes à cause de l’or ?

Parfois, l’initiative de la collaboration vient des groupes armés. Selon Désiré Nikiéma, les artisans miniers, appelés couramment « orpailleurs », sont une catégorie de personnes qui côtoient la mort pratiquement chaque seconde. Leur activité est très risquée. Ils n’ont pas peur des intimidations. Au Burkina, des leaders de sites ont refusé catégoriquement le jeu des groupes armés. Mais cette posture courageuse n’est pas sans conséquences. Désiré Nikiéma cite le cas de Solhan, dans la province du Yagha au Sahel.  « L’attaque la plus meurtrière est celle de Solhan avec plus de 160 morts. C’était sur un site minier artisanal à petite échelle. En réalité, il y avait un site qui n’était pas loin du site de Solhan qui avait décidé de collaborer avec les groupes armés. Mais celui de Solhan avait refusé cette offre. Et a même décidé de mettre en place un groupe d’auto-défense pour se sécuriser. Et pour les sanctionner et les faire servir de leçon aux autres, ils ont attaqué les civiles sur le site. Au Niger aussi, il y a eu un cas pareil. », déclare le panéliste.

Comment les groupes armés infiltrent les sites miniers artisanaux

Les réseaux criminels ont aussi une stratégie d’infiltration du secteur minier artisanal. Au début, ils commencent comme des acheteurs d’or avec les collecteurs (ceux qui sont sur le marché et qui achètent l’or en petite quantité). « Ils les préfinancent, en leur donnant de l’argent. Par exemple, ils peuvent remettre à un collecteur dix millions pour qu’il leur achète de l’or. La collaboration commence ainsi. », explique-t-il. Ce collecteur devient « fort » parce qu’avant, il n’avait peut-être pas un budget de plus d’un million en une semaine.  Il y voit donc une opportunité d’affaires. Les groupes criminels les utilisent en réalité. Ces partenaires des réseaux criminels commencent eux aussi à créer des circuits informels, sans que les autres acteurs ne se rendent comptent qu’ils sont en contact avec des « mafieux ».

La porosité des frontières profite aux réseaux criminels

« Nos Etats ont du mal à contrôler la zone des trois frontières, le Liptako gourma. C’est une zone très riche. Mais à un moment donné, l’or qui était produit dans cette zone se retrouvait à Niamey. Les enquêtes ont prouvé qu’à un certain moment, il y avait une production d’or d’environ 40 tonnes non déclarées à Niamey. Cette quantité avoisine la production de certains pays qui ont plus de dix mines industrielles. Ce qui montre à quel point il y a un grand flux illicite d’or dans la zone des trois frontières ». Mais cela est possible à cause de la porosité des frontières.

Les réseaux criminels contrôlent le flux d’or dans la zone. Ce sont eux qui assurent la sécurité de ceux qui migrent d’un pays à un autre avec l’or, moyennant payement sous formes de taxes, en plus du fait qu’ils collectent l’or directement dans la région.

Corruption, injustices, frustrations, etc. : les autres maux du secteur

Le secteur de l’exploitation artisanale est laissé à lui-même, pendant longtemps, selon le panéliste. Et avec la crise sécuritaire, la situation est devenue plus grave. La corruption, les frustrations, les conflits entre mines industrielles et artisanales, les injustices, etc. sont des grands dangers : « Il y a des gens qui font allégeance aux groupes armés pour récupérer certains sites qu’on a refusé de leur attribuer légalement. Et qu’on a attribué par la suite à un autre acteur. »  Cette gestion rend fragile le secteur et ouvre la porte aux groupes armés qui s’y infiltrent et profitent en faire une source de financement. « Si on arrive à réduire les taux élevés de fragilité dans la gouvernance des sites miniers d’exploitation artisanale, on aura un instrument de paix. Beaucoup de déplacés internes vont trouver du travail dans ces sites, parce qu’ils génèrent des revenus », conclut Désiré Nikiéma. 

Marie D. SOMDA, Sira info

www.sirainfo.com

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