Fonds spécial routier : Voici l’audit accablant de la Cour des comptes

Exclusif: La Cour des comptes a été alertée en février 2020 par une structure de contrôle qui a relevé des insuffisances sur l’exécution de certains marchés publics financés à travers le Fonds spécial routier du Burkina (FSR-B). Des insuffisances sur la gestion ont été relayées aussi par la presse. Elle a alors décidé de faire un audit de performance des exercices 2016-2019. Le résultat est accablant : mauvaise gestion des péages, irrégularités dans la gestion des ressources des conventions, utilisation des ressources à d’autres fins que le financement des travaux routiers, immixtion du politique sur le choix des routes à bitumer au détriment de ce qui est prévu, des prêts dans des banques privées avec des taux d’intérêts élevés, etc. Le rapport a été remis au chef de l’Etat Ibrahim Traoré, le 16 février par le Premier président de la Cour des comptes Latin Poda.

Gestion des péages : il y a de gros problèmes. Le rapport d’audit de la Cour des comptes donne les détails. Premier grief : des dispositions nécessaires ne sont pas prises pour la confection « des tickets de péage de qualité et non falsifiables ». Selon l’audit, les marchés sont passés par entente directe (gré-à-gré), et le « choix du fournisseur des tickets de péage est laissé à la discrétion du Directeur général FSR-B qui seul, décide de l’entreprise attributaire ». Plus grave : « la responsabilité de l’entreprise n’est plus engagée même si des erreurs sont décelées plus tard pendant la vente des tickets au niveau des péages ». Pour se justifier, « le DG évoque les principes de célérité, de qualité, de sécurité et de secret professionnel dans la confection des tickets ». Or la qualité des tickets est remise en cause : des carnets de tickets peuvent contenir par exemple plus d’unités qu’il en faut (11 carnets au lieu de 10).

Des barrières non fonctionnelles dans plusieurs localités, des usagers passent sans payer de tickets pour défaut de monnaie. Les Bus de la SOTRACO ne paient pas le péage alors qu’aucun texte ne les exempte du paiement. Sur 48 postes de péages, 34 fonctionnent (7 à temps partiel) et 14 non fonctionnels. Ces manquements diminuent les recettes.

« Un rapport a fait ressortir un manquant de caisse d’un montant de 37 292 100 francs CFA pour la seule année 2019. »

Autre constat : « les gestionnaires des postes de péage ne reversent pas intégralement et à temps, les ressources collectées dans les comptes du FSR-B ». Dans la pile de documents, la Cour des comptes a découvert qu’il y a parfois des manquants de caisse. L’Inspection technique des Services du ministère des infrastructures, lors d’un contrôle de 2019 a constaté des manquants de caisse liés à des cas de reversement non intégral des recettes issues des ventes de tickets de péages par les préposés de péage auprès des gestionnaires. « Un manquant de caisse d’un montant de 37 292 100 francs CFA pour la seule année 2019 » a été constaté. Au péage de Bobo-Dioulasso, route Banfora, « un seul préposé s’est retrouvé avec un manquant de caisse de 5 621 700 francs CFA ». Et ce n’est pas tout. La même année également, la même inspection a découvert que les gestionnaires à leur tour n’ont pas reversé un montant de 9 734 350 francs CFA. Ces derniers, selon la Cour des comptes, « optent pour la rétention de la liquidité par devers eux sur une période longue avant le reversement en banque ».

« Les ressources des conventions sont utilisées pour payer presque toutes les charges de fonctionnement des directions techniques et des Directions régionales des infrastructures (DRID) »

Le Fonds spécial routier signe des conventions pour des activités précises. Mais les fonds sont utilisés pour d’autres « n’ayant pas de lien direct avec l’objet de la convention ». Ainsi, des ressources qui devraient être utilisées pour les missions de contrôle ou de supervision sont utilisées pour des marchés de pause-café, de réfection de travaux divers dans la cour de la Direction générale de la normalisation et des études techniques, d’acquisition de mobilier de bureau, etc. Par exemple la direction régionale des infrastructures des Hauts-Bassins avait un besoin crucial en matériels techniques pour le suivi du réseau routier. Le marché était éligible dans les conventions. Mais ce matériel n’a jamais été acheté « malgré la disponibilité des ressources ». Les fonds sont utilisés pour d’autres charges. Les ressources des conventions sont aussi utilisées pour motiver des agents du ministère. Le montant trimestriel varie entre 75 000 FCFA pour un agent et 225 000 FCFA pour un directeur général. « Au total, sur la période 2018 et 2019, cinq milliards sept cent trente-deux millions six cent soixante-dix-neuf mille cent vingt-cinq (5 732 679 125) francs CFA ont été transférés aux structures du MID par le FSR-B au titre des conventions. Cette pratique a pour conséquence la baisse des ressources du FSR-B consacrées aux travaux de réalisations, d’entretien routier et au bitumage de nouvelles routes », soutient le rapport.

« Le choix des localités et des tronçons devant bénéficier de travaux routiers n’est pas toujours objectif et équitable »

La Cour des comptes a mis le doigt sur un autre aspect de la politique de l’entretien routier au Burkina. Le Fonds spécial routier alloue chaque année un budget d’entretien routier au ministère en charge des infrastructures. Il est parfois inférieur aux besoins. Conséquences : les routes devant faire l’objet d’entretien périodique ou de réhabilitation bénéficient seulement de « collage de nids de poule ». « Cela constitue un véritable saupoudrage sans bénéfice réel et les tronçons concernés continueront de se dégrader davantage ». Et ce n’est pas tout.

L’équipe de la Cour des comptes a découvert, lors des entretiens que « le politique peut aussi influencer le choix des routes à bitumer et des tronçons devant faire l’objet d’entretien », au détriment des critères de priorité de bitumage. Les routes menant à un corridor, reliant des chefs-lieux de régions, allant dans les départements ; allant dans les zones à forte productivité économique sont prioritaires. Mais ces critères ne sont pas totalement suivis. Et il y a des exemples. Le FSR-B avait conclu un emprunt bancaire de 100 milliards FCFA avec des banques privées. La convention précisait clairement les routes à bitumer. Mais quand les fonds ont été obtenus, le politique est entré dans la danse pour avantager certaines localités non prévues. Morceau choisi par le rapport : « Il était notamment prévu, le bitumage de la RN 15 Sapaaga- Boulsa (56 km), mais dans les faits c’est le tronçon Sapaaga- Kalwartenga (22 km) qui a été bituminé et le reste des ressources a été utilisé pour le bitumage de la route départementale Zorgho-Méguet qui ne figurait pas dans la liste des travaux à réaliser dans le cadre de l’emprunt. » Autre exemple : « Il était également prévu dans le cadre de cet emprunt bancaire, l’étude du troisième pont sur le barrage n° 2 de Ouagadougou, mais l’étude n’a pas été réalisée dans la période sous revue. Les ressources ont été utilisées en partie pour les travaux d’aménagement, de bitumage et de réhabilitation de voies d’accès à la Présidence du Faso à Kossyam, de la rue Bassi à Gounghin (Ouagadougou) et des rues 13.18 et 13.56 à Zogona (4,625 km). Ces travaux ne figuraient pas non plus dans la liste des travaux à réaliser dans le cadre de l’emprunt. » Pour la Cour des comptes, il n’y a pas de doute. Cette pratique illustre l’influence du politique dans les travaux routiers et traduit un manque d’objectivité et d’équité.

Les charges de fonctionnement du FSR-B passent de 756 619 927 F CFA en 2017 à 9 208 662 289 FCFA en 2019

L’examen des documents financiers a mis à nu un fait. En 2019, « 52% des ressources du FSR-B ont été affectées au fonctionnement et aux paiements des conventions signées avec les structures du MID, contre 48% pour les travaux (décomptes payés). » Ainsi, les charges de fonctionnement du FSR-B passent de 756 619 927 F CFA en 2017 à 9 208 662 289 F CFA en 2019. En 2018, elles étaient 3 485 642 263 FCFA. Si on prend uniquement les charges du personnel, elles ont aussi connu un bond significatif. De 135 614 693 FCFA en 2017, elles ont grimpé à 1 910 407 687 FCFA. En 2018, elles étaient à 1 155 126 771 FCFA. Soit une augmentation de 1 896 846 194 FCFA entre 2017 et 2019. Selon le rapport, il s’agit d’une mauvaise utilisation des ressources qui s’explique par la prise en charge de la quasi-totalité des dépenses des structures du ministère, notamment les fonds communs, les motivations en carburant. Il y a également les charges d’intérêt très élevées de l’emprunt de 100 milliards FCFA. Ces charges s’élèvent à 6 299 839 995 FCFA pour la seule année 2019.Selon les services comptables du FSR-B, l’intérêt que le FSR-B a reversé aux banques privées dans le cadre de ce crédit de 100 milliards FCFA est estimé à 30 milliards FCFA. Ces faits font baisser les ressources consacrées à l’entretien routier et au bitumage des routes « qui vont continuer de se dégrader ».

140 millions FCFA pour le carburant et autres frais reversés par des entreprises attributaires de marchés contre une simple décharge.

La passation des marchés pose aussi problème. Selon le rapport, l’ensemble des marchés ne respecte pas la règlementation. Plusieurs marchés sont passés par entente directe ou appel d’offres restreint. Un exemple : les 9 marchés de travaux financés par l’emprunt bancaire de 100 milliards FCFA ont été passés par appel d’offre restreint. Pour la Cour, cela ne met pas les entreprises en concurrence. Dans les dossiers d’appel d’offres, il est inclus « systématiquement » la prise en charge de l’administration en carburant et autres frais. C’est le cas des « travaux d’urgence d’entretien courant du réseau routier classé et des pistes rurales de l’année 2016 dans 13 régions comportant 5 lots ». Des cinq lots, le ministère des infrastructures a exigé à chaque entreprise, le reversement de 30 000 litres (environ 15 millions FCFA de gasoil). Soit un total de 75 millions FCFA. Il est aussi exigé à chaque entreprise de verser par région que comporte chaque lot, la somme de 5 millions FCFA de « provision pour le suivi du chantier » et frais divers ». Soit 65 millions FCFA. Rien que pour ce marché, les différentes entreprises ont versé aux structures du ministère des Infrastructures 140 millions FCFA. « Cette somme a été versée aux services financiers du MID contre une simple décharge », dit le rapport. Pourtant, le FSR-B octroi déjà au ministère des ressources pour le carburant et autres frais de suivi des travaux. Selon les auditeurs, les sommes perçues dans ce cadre sont utilisées « pour alimenter le fonds commun du ministère des infrastructures (MID). »

Par Lomoussa BAZOUN, Sira info

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