Exploitation artisanale d’or : Entre perte de recettes et financement du terrorisme

La quantité d’or issue de l’exploitation artisanale et semi-mécanisée déclarée au Burkina Faso reste faible. Elle est passée de 259 kg en 2019 à 491,30 en 2023, selon les chiffres du ministère des Mines. Pendant ce temps, une enquête de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) a révélé que 6,8 tonnes d’or ne sont pas collectées sur une année. Il se dégage des écarts entre les chiffres officiels et les résultats de cette enquête. Qui alimente cette fraude ? Quel est son ampleur ? Y-a-t-il pas un risque de financement du terrorisme dans le contexte actuel du Burkina Faso ?

Le Burkina fait partie des 5 plus grands producteurs d’or en Afrique. L’or est devenu le premier produit d’exportation du pays en 2009, déclassant ainsi le coton qui a longtemps occupé cette place. En 2023, la Direction générale des mines et de la géologie (DGMG) a estimé à 57,338 tonnes la quantité d’or exportée pour une contribution aux recettes de l’Etat de 20%, soit 500,90 milliards FCFA).

Environ 300 milliards de manque à gagner par an

Si le flux de la production industrielle est plus ou moins maîtrisé, le secteur de l’exploitation artisanale, communément appelée orpaillage, présente beaucoup de difficultés. Les recettes de l’or issu de ce sous-secteur et de son circuit de commercialisation échappent au contrôle de l’Etat, malgré la série de réformes du cadre légal, règlementaire et institutionnel.

Toutefois, les publications de plusieurs institutions nationales et internationales donnent des tendances de la fraude.

L’assemblée nationale le rapport de la « Commission d’enquête parlementaire sur la gestion des titres miniers et la responsabilité sociale des entreprises minières » mis en place en 2016 évalue l’ampleur de cette fraude par an : « De l’analyse des documents du Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP), des informations données par le BUMIGEB et des études menées par différents acteurs, la fraude pourrait se situer entre 15 et 30 tonnes d’or/an. Ainsi de 2006 à 2015, plus de 300 milliards FCFA/an se seraient évaporés au détriment du Trésor public. »

6,8 tonnes vendues dans un circuit non-déterminé

L’Etat central a voulu aussi en avoir le cœur net. Une de ses structures, en l’occurrence l’Institut national de la statistique et de la démographie, un an après les députés, s’est mis sur les routes de l’or d’exploitation artisanale, à travers un rapport dénommé, « Enquête nationale sur le secteur de l’orpaillage (ENSO) ». Ce document officiel qui date de septembre 2017 établissait le nombre des sites de production artisanale d’or fonctionnels à 448. Selon l’INSD, la production artisanale d’or de ces sites est estimée à 9,5 tonnes en 2016, générant 232,2 milliards de FCFA de revenus. Mais cet or n’est pas vendu dans les circuits normaux. Voici ce que dit le rapport : « l’enquête a révélé que les acheteurs installés sur les sites ont acheté 66,3 milliards de FCFA d’or représentant une quantité de 2,7 tonnes d’or. Ce qui suppose qu’il y’a un écart de 6,8 tonnes d’or correspondant à 165,9 milliards de FCFA d’or qui n’est pas acheté par les acheteurs présents sur les sites. Des investigations plus poussées méritent d’être réalisées afin d’identifier le circuit de distribution de cette production. »

Le rapport « Sur la piste de l’or africain » publié en 2024 de l’ONG SWISSAID estime à 30 tonnes, production non déclarée du Burkina Faso par année.

Une étude de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) renforce les pertes annoncées dans les rapports de l’Assemblée nationale et de l’INSD : « Les orpailleurs et comptoirs consultés évaluent plutôt à 15 à 20 tonnes le volume de production artisanale annuelle, tandis que des calculs dérivés des émissions de mercure dans l’atmosphère (AMAP/UNEP, 2013 ; COWI, 2016) tendent à estimer la production à 20-25 tonnes par an. Pourtant, le pays n’a enregistré que 236 kg d’or artisanal exportés officiellement par les comptoirs en 2017 (entretien avec l’Aneemas, 2018) ».

Mais c’est l’enquête parlementaire qui explique les raisons de cette fraude issue de l’exploitation artisanale. «Cette situation est encouragée par le coût relativement bas de rachat de l’or produit par les orpailleurs d’une part, et le rachat de l’or au-delà du cours mondial par certains comptoirs fictifs ou non, d’autre part. Elle est également entretenue par l’existence de taxes que les exploitants traditionnels jugent trop élevées. », écrivent les députés dans leur rapport.

L’or d’exploitation artisanale et le financement du terrorisme

Et ce n’est pas tout ! L’or issu de l’exploitation artisanale ne fait pas seulement l’objet de la fraude. Plusieurs structures associatives, étatiques, etc. ont donné l’alerte, des années en arrière que les sites d’orpaillage sont dans le viseur des groupes armées qui sévissent dans la région sahélienne. En 2019, le rapport Afrique de l’ONG Crisis Group relevait que dans la région du Sahel, au Burkina Faso, « des unités djihadistes sont rémunérées par les orpailleurs pour effectuer des missions de sécurité sur les sites ». Dans la région de l’Est également, le rapport évoquait la même situation. Les terroristes prélèvent « la zakat chez les exploitants artisanaux ». Crisis group indiquait que la situation est commune à d’autres pays du Sahel comme le Mali et Niger.

En plus de ces cas, l’étude de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) signale aussi que plusieurs incidents sur les sites artisanaux sont liés aux groupes armés. L’étude fait référence à l’attaque terroriste du site d’orpaillage de Koutougou, dans la région du Sahel en 2018. Crisis group évoque aussi un incident sur un site d’orpaillage toujours dans la région du Sahel, précisément à Kéréboulé, en 2016. « Plusieurs sources au Burkina Faso ont confirmé que ces attaques et affrontements récurrents visant les sites d’orpaillage dans la région du Sahel depuis 2016, indiquant qu’ils étaient désormais « pris en otage » par des groupes armés non-étatiques »

L’Initiative pour la transparence dans les industries extractives du Burkina Faso (ITIE-BF) confirme le lien entre le financement du terrorisme et les sites artisanaux l’exploitation artisanale de l’or dans le rapport de l’étude sur les flux financiers illicites dans le secteur extractif publié en mai 2023.

Le rapport précise que « certains sites d’exploitation artisanale ne fonctionnent que sous les règles et conditions établies par les Groupes armés terroristes. Ils y érigent leurs règles notamment le paiement de pourcentage sur les gains, l’imposition de taxes sur les revenus et le prélèvement de la zakat.

L’ITIE-BF indique que le démantèlement d’un réseau de trafiquants d’or dans la région de l’Est du Burkina, a permis de découvrir que « le produit de vente du minerai avait été transféré aux groupes terroristes. ». Des enquêtes judiciaires, indique le rapport, ont prouvé que « les minerais objet de trafic dans les zones à forts défis sécuritaires proviennent des sites aurifères sous influence des groupes terroristes ».

Le nitrate d’ammonium, composante des engins explosifs, armes redoutables utilisées par les terroristes, sont acquis chez les acteurs « miniers véreux », à en croire l’ITIE.

Circuit du Trafic

Certaines sources donnent des indications sur le circuit et l’ampleur du trafic. En effet, Selon la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF), la fraude à la commercialisation de l’or est constatée chez plusieurs acteurs de la chaîne de commercialisation. L’or sortie en contrebande du Burkina prend le chemin de plusieurs pays voisins à savoir le Togo, le Mali, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Niger et le Bénin, selon la BNAF.

Pour l’ONG SWISSAID : « L’or exporté des pays africains vers les Emirats Arabes Unis est transporté par voie aérienne, en bagage à main ou en soute, sur des vols de ligne ou en jet privé. La plateforme aéroportuaire des Emirats Arabes Unis, en particulier l’aéroport international de Dubaï, joue un rôle central dans ce commerce avec des connexions directes vers la majorité des pays africains exportateurs d’or ».

L’or africain, précise ce rapport, représente 11% des importations d’or de la Suisse. Mais le « pourcentage pourrait en réalité être plus élevé, car il est fort possible que de l’or d’Afrique ait été importé en Suisse via des pays tiers, comme les Emirats Arabes Unis ».

Des tentatives pour lutter contre la fraude

Le Burkina Faso a entrepris des actions pour minimiser considérablement voire éradiquer le phénomène de la fraude de l’or, notamment d’exploitation artisanale au Burkina Faso. Dans ce cadre, il a adopté la stratégie nationale de lutte contre la fraude de l’or, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans le secteur minier (SNLFO-BC/FT) et son plan d’action (PAT-SNLFO-BC/FT) qui ambitionnent de venir à bout de ce problème.

Ainsi, la mise en place de la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF) vise principalement la lutte contre la fraude par des actes de contrôle qui peuvent aboutir à des poursuites judiciaires. En 2023, dans le cadre de ses actions, la BNAF a recensé 39 cas de fraude de l’or contre 28 en 2022.

Les forces de sécurité (douanes, police, gendarmes, etc..) font également de façon régulière des saisies d’or entre les mains de contrebandiers qui tentent de quitter le territoire national avec de façon illicite. Dernier cas connu. Le 17 décembre 2024, le bureau de douanes de Bittou a arrêté trois passagers à bord d’un bus en partance pour Lomé, au Togo. Ils ont été arrêtés à leur entrée dans la ville de Cinkassé (située à environ 660 km du Togo) avec en leur possession 28,6 kg d’or d’une valeur évaluée à 1,4 milliard FCFA.

Sur le plan judiciaire, le Burkina Faso a créé le pôle judiciaire spécialisé du Tribunal de grande instance Ouaga II, avec une compétence territoire, sur la répression de actes terroristes. Le pôle a connu plusieurs dossiers en 2024. Selon le journal en ligne Libreinfo qui a couvert les procès, parmi les accusés, le fils d’un chef terroriste, dans la zone de Mansila, région du Sahel du Burkina qui se présente lui-même comme un orpailleur. Il aurait été recruté, selon le procureur, comme informateur et en échange, il pouvait mener librement ses activités d’orpaillage sans être inquiété. Le lien entre cet orpailleur et les terroristes, a été confirmé par l’expertise de son téléphone portable. Accusé des faits d’association de malfaiteurs, il a été condamné à 21 ans de prison dont 15 ans fermes et 12 ans de sûreté.

Le rapport de l’TIE-BF a fait le point des dossiers judiciaire portant sur la fraude à la commercialisation de l’or à partie des données reçues des autorités d’enquête du Burkina Faso, c’est à dire les tribunaux de grande instance de Bobo-Dioulasso et de Ouaga 1, la gendarmerie, les Douanes et la Brigade nationale anti-fraude de l’or. Sur la période 2018-2022, ce sont 05 dossiers, dont la plupart portent sur la fraude à la commercialisation de l’or qui ont été instruits et jugés au Burkina Faso. La structure révèle par ailleurs qu’entre 2012 et 2022, le montant total des infractions liées au secteur extractif s’élève à 119,457 milliards francs CFA.

L’Etat a aussi mis en place des méthodes non coercitives de lutte contre la fraude, notamment des actions d’encadrement, de facilitation et de régulation. C’est ainsi que depuis le 20 février 2024, le ministre chargé des mines a suspendu l’autorisation d’exportation de l’or d’exploitation artisanale et semi-mécanisée pour un « besoin d’assainissement du secteur » et une meilleure « organisation » de sa commercialisation. C’est la Société nationale des substances précieuses (SONASP), créée en octobre 2023, en remplacement de l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS) qui assure désormais le rôle de commercialisation de l’or collecté au plan national.

Par Tiba OUEDRAOGO (Mine actu Burkina) et Lomoussa BAZOUN (Sira info), avec l’accompagnement de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) et de l’Office des nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC)

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