Premier ministère : Voici les détails du détournement présumé de plus d’un milliard FCFA sous l’ancien régime

Ils ne sont plus aux affaires. Ils sont même presque passés aux oubliettes. Mais certains actes posés pendant leur gestion risquent de les faire revenir dans l’actualité. Et de la pire des manières, si la justice décide d’aller jusqu’au bout.  Parmi ces anciennes hautes personnalités qui ont maille à partir avec la justice, il y a l’ex-Premier ministre, Christophe Joseph Marie Dabiré, deux de ses anciens collaborateurs et un ancien ministre des finances. L’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE-LC) leur reproche un détournement présumé d’un milliard 1 377 500 000 FCFA. Pour l’instant, ils sont présumés innocents. Mais voici les faits !

Pour comprendre cette affaire, il faut repartir à la base. Nous sommes en avril 2022.  L’ASCE-LC lance une série d’audits dans plusieurs structures publiques. Elle dépose ses valises au Premier ministère. Très vite, un fait attire l’attention des auditeurs.  La gestion du compte intitulé « Fonds spéciaux du Premier ministère » pose problème. Dans la législation burkinabè, les « Fonds spéciaux » sont une sorte de « caisse noire » dont bénéficient chaque Premier ministre, ainsi que trois autres personnalités de l’Etat : le président du Faso, le président de l’Assemblée nationale et le président du Conseil constitutionnel.

Mais ils sont budgétisés et le montant annuel est connu. La seule différence est qu’aucun corps de contrôle administratif ne peut demander des comptes au PM sur l’utilisation qu’il en a faite, si les approvisionnements du compte et les décaissements sont conformes à la loi. Et visiblement, pour le cas de la gestion de l’ex-PM Christophe Marie Joseph Dabiré, il y a des problèmes. De gros problèmes. Selon nos informations, les virements et les décaissements reçus dans le compte « Fonds spéciaux du Premier ministère », logé dans une banque privée de la place, dépassent largement les sommes budgétisées chaque année. Selon des données du dossier, « Pour l’année 2020, sur une prévision définitive de la loi de finances de 240 000 000 de francs CFA, il a été constaté des décaissements de 1 157 517 700 francs CFA, soit un dépassement de 917 517 700 francs CFA et un taux d’exécution de 482%. Pour l’année 2021, sur une prévision définitive de la loi de finances de 240 000 000 de francs CFA, il a été constaté des décaissements de 1 200 000 000 de francs CFA, soit un dépassement de 960 000 000 de francs CFA, et un taux d’exécution de 500%. » Conclusion : les fonds publics qui se sont retrouvés de façon irrégulière sur ce compte sont de 2 297 517 000 FCFA. Mais le présumé détournement de fonds publics ne porte pas sur l’intégralité de cette somme. La présomption « de détournement de biens publics porte sur 1 377 500 000 FCFA, sous le couvert « des fonds spéciaux » et les motifs « actions dignes d’intérêt pour l’activité gouvernementale et administrative ».

Christophe Marie Joseph Dabiré, ancien Premier ministre (2019-2021)

Selon nos sources, ce sont donc les approvisionnements et les décaissements qui ont alerté l’ASCE-LC. Les investigateurs donnent donc un coup de pied dans la fourmilière. Et elle ne tarde pas à dévoiler ses petits secrets.

                                          Mode opératoire

D’abord, ils se mettent à la « chasse » des documents relatifs à la somme concernée. Plusieurs autorités et agents publics ont été auditionnés.

Au final, le manège est connu. Il y a plusieurs modes opératoires, selon les données du dossier. Les motifs utilisés pour sortir certaines grosses sommes du compte « ne renferment aucun contenu clair ». Voici quelques exemples d’activités. « Diverses dépenses actions gouvernementales » d’un montant de 100 millions FCFA. « Poursuivre et clôturer les activités résiduelles de 2020 » : cela a coûté également 100 millions FCFA. « Couverture diverses dépenses de l’action gouvernementale » : 100 millions FCFA. « Couverture des diverses dépenses de l’action gouvernementale » en fin décembre de chaque exercice : 100 millions FCFA par exercice soit 200 000 000 FCFA décaissés les 30 décembre 2020 et 21 décembre 2021. Les auditeurs estiment qu’il s’agit d’une « utilisation détournée » des fonds publics, surtout que les fonds spéciaux ne sont pas dédiés aux activités du Premier ministère, mais du Premier ministre. Il y a nuance.  

Sous l’ex-PM Dabiré également, selon des éléments du dossier, des fonds publics provenant de certaines structures de l’Etat notamment l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP) sont transférés dans le compte « Fonds spéciaux pour les faire échapper au contrôle ».  Montant total : 120 millions FCFA pour 2020 et 2021. Soit 60 millions par an.

Des fonds du ministère des finances transférés sur le compte « Fonds spéciaux du Premier ministère »

Selon des éléments du dossier, un ancien responsable du ministère des finances auditionné, a reconnu qu’une ligne budgétaire intitulée « MEF actions ponctuelles » dont l’objectif était de permettre au ministre en charge des finances de faire « face de façon ponctuelle, à certaines urgences ou besoins spécifiques » a été utilisée à d’autres fins. Ainsi, à deux reprises, ce stratagème a permis le virement de 100 millions FCFA, le 02 août 2021 sur le compte « Fonds spéciaux ». Motif : « Fonctionnement du Premier Ministère ». Le 7 octobre 2021, un autre virement a été effectué : 150 millions FCFA, avec comme motif « renforcement de la communication –action gouvernementale ».

Et ce n’est pas tout ! Un autre mode opératoire est décelé. Selon des données du dossier, ils ont aussi procédé à « l’annulation de dépenses, puis le déplacement de lignes budgétaires ordinaires, naturellement soumis à justification et à contrôle, vers le compte fonds spéciaux, afin de pouvoir les dépenser sans aucune justification, ni contrôle. ». Par exemple, des dépenses de biens et services d’un montant de 400 millions FCFA, selon le dossier, ont été annulées, contre des « ouvertures de crédits » au profit du compte « Fonds spéciaux du PM ». Cela a permis des dépenses de centaines de millions non soumis au contrôle, sous le couvert des fonds spéciaux. 

L’analyse des dépenses faites au-delà du plafond légal budgétisé et l’audition de certaines personnalités ont permis de faire une autre découverte : « chaque fin d’année, chaque ministre percevait la somme de deux millions (2 000 000) de francs CFA sur ces fonds (Fonds spéciaux), pour les festivités », sur le dos du contribuable.

Le Dossier est entre les mains d’un juge d’instruction au Tribunal de Grande instance de Ouagadougou. L’avocat de l’ancien Premier ministre contacté depuis juin 2024 n’a pas accepté nous recevoir.

Par Lomoussa BAZOUN, Sira info

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